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je ne verrai jamais, pour le moins sous un si grand capitaine. Certes, quand j’y songe, le cœur me fend. Un coup de pique donné en sa présence m’eût plus contenté que de gagner une bataille. »

Rohan avait trente et un ans au moment de la mort d’Henri IV ; il avait bien raison d’écrire : « Je veux donc séparer ma vie en deux, nommer celle que j’ay passée, heureuse, puisqu’elle a servi Henri le Grand ; et celle que j’ay à vivre, malheureuse, et l’emploier à regretter, pleurer, plaindre et soupirer. » Il voyait bien les dangers de l’état sous « le règne d’un enfant et sous la conduite d’une princesse peu instruite aux affaires, traversée par les grands du royaume, qui se veulent élever durant la faiblesse de son gouvernement, où les desseins particuliers empêchent les bonnes et publiques instructions, où les finances sont prodiguées, les arsenaux dissipés et les favoris en vogue. »

Nous avons dit que Rohan était entré avec le maréchal de La Châtre dans le duché de Juliers[1] ; en l’absence du maréchal, il commanda en chef, comme maréchal de camp général, les troupes françaises qui firent avec le prince Maurice le siège de Julien. La place capitula le 1er septembre 1710, et Rohan revint en France. Il y trouvait tout changé ; il avait quitté Henri IV dans toute sa gloire, Sully au comble de la faveur. Henri IV n’était plus : Sully était désormais en disgrâce, les anciens conseillers du roi ou n’étaient plus écoutés ou trahissaient les desseins de leur ancien maître pour saisir un débris de pouvoir ; de nouveaux acteurs, bruyans, remuans, remplissaient déjà la scène.

II

Deux forces confuses, tantôt confondues et tantôt séparées, entrèrent en lutte contre l’autorité royale après la mort d’Henri IV, l’ambition des grands, les églises privées de celui qui avait cru leur assurer la tolérance. Après le plein jour du règne du grand

  1. « Je vais en Juliers avec ces troupes que la reine y envoie sous la charge de M. le maréchal de la Châtre. J’y mène un fort beau régiment suisse et le bon homme Jalatty fait encore le voyage, c’est afin de me divertir de l’affliction que j’ai, car je vous jure que je ne puis demeurer dans cette ville sans une tristesse merveilleuse, surtout maintenant qu’où est sur l’enterrement du feu roi, où je n’ai su aller ni même voir son effigie, tandis qu’elle était en son lit de parade. Quant aux affaires, l’on ne voit que toute confusion. M. le comte de Soissons a enfin obtenu le gouvernement de Lorraine, au grand mécontentement du prince de Conty et de toute la maison Lorraine. M. le prince de Condé n’est encore ici, on l’attend dans huit jours ; il sembla qu’il se joindra avec la maison de Lorraine, car M. le comte de Soissons est rallié avec M. d’Épernon et sa suite. Quant aux huguenots, il faut qu’ils demeurent bien unis, afin de bien servir la France et l’état et d’empêcher qu’on ne les opprime. » — Paris, 29 juin 1610. (Lettre de Rohan à La Force. Mém. de La Force, publiés par le marquis de La Grange, t. II, p. 286.)