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faisait bâtir un prêche au pied du château de Vendôme et restait encore catholique. Tout le monde chantait les psaumes de Marot; la cour du roi Henri II en faisait ses délices. Catherine de Médicis faisait mine quelquefois de pencher vers la réforme. Tourmenté par son humeur changeante et par son ambition inquiète, Antoine de Bourbon quitta et reprit si souvent la cause protestante, qu’on lui donna le surnom d’Eschangeur. Pour Jeanne d’Albret, une fois décidée, rien ne put la faire changer; et, s’il faut admirer sa courageuse sincérité, on ne peut que regretter qu’elle se soit laissé entraîner trop souvent jusqu’à la persécution contre les catholiques.

Isabel d’Albret était de la même trempe que celle qui écrivait à Catherine de Médicis : « Madame, si j’avais mon fils et tous les royaumes du monde, je les jetterais tous au fond de la mer plutôt que de perdre mon salut. » L’esprit farouche, la volonté de fer, la droiture des d’Albret devaient revivre plus tard dans le duc de Rohan »

Deux ans déjà avant l’arrivée de D’Andelot en Bretagne, Isabel avait eu quelques démêlés avec son fils aîné, le vicomte de Rohan, elle avait quitté Blain et était allée demeurer quelque temps en Gascogne; le «pur Evangile» n’avait pas ramené la paix : le vicomte de Rohan était bizarre, d’humeur difficile, si travaillé de la goutte qu’il fut surnommé Henri le Goutteux. Il ne s’accordait avec sa mère que dans la défense des intérêts prêtes tans, ouvrant généreusement son château aux ministres et aux calvinistes persécutés de l’église de Nantes. En 1562, il s’en trouva un si grand nombre qu’on tint à Blain une sorte de colloque[1]. Le vicomte de Rohan défendit l’exercice du culte catholique dans l’église paroissiale de Blain; on brisa les vieux autels et l’on effaça toutes les traces de l’ancienne religion. Cette intolérance était d’autant plus coupable que ce qu’on nommait l’église de Blain ne comprenait alors, outre Henri de Rohan et sa sœur Françoise, que quelques personnes dépendantes du château.

La guerre civile, il est vrai, venait d’éclater pour la seconde fois. Le frère cadet du vicomte, Jean de Rohan, qu’on appelait Frontenay, âgé seulement de vingt et un ans, était allé joindre le prince de Condé. Il avait été admis aux pourparlers avec la reine mère, puis

  1. «En ce temps, au mois d’août 1562, ceux de la religion réformée de Nantes furent contraints par les menaces que leur faisaient ceux de la religion romaine (contre ce qu’ils avaient promis à M. d’Étampes, gouverneur et lieutenant général pour le roi en Bretagne, de vivre en paix), de sortir hors ladite ville, et se rangèrent à Blain, terre de monseigneur de Rohan, lequel les reçut humainement, jusqu’à les loger en son château, sans exception de riche et de pauvre, et y furent depuis ce temps jusqu’à la fin de novembre 1563, qui est un an, quatre mois; auquel lieu de Blain, durant ledit exil, plusieurs enfans furent baptisés. » (Registres de Nantes. Travers, vol. 2e, page 374).