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d’exécution. Le malheureux Thibault disait en marchant : « C’est malheureux de mourir comme ça, quand on n’a jamais fait de mal à personne. » Meissonnier commanda le feu, Bontemps donna le coup de grâce. On porta le cadavre au cimetière de l’Hay, et sur la fosse on planta une croix avec cette inscription : Mort aux traîtres[1] !

C’est de cet assassinat travesti en exécution militaire que Léo Meillet rendit compte dans la séance du 12 mai. Cela mit toute la commune en veine, et elle résolut de faire une proclamation au peuple pour lui apprendre à quel danger il venait d’échapper. Ce serait à en rire, si le point de départ de cette sornette n’avait été la mort d’un innocent, et voici dans quels termes invraisemblables le fait du pauvre Emile Thibault est raconté : « Citoyens ! la commune et la république viennent d’échapper à un péril mortel. La trahison s’était glissée dans nos rangs ; désespérant de vaincre Paris par les armes, la réaction avait tenté de désorganiser ses forces (les forces de Paris) par la corruption. Son or (l’or de la réaction) jeté à pleines mains, avait trouvé jusque parmi nous des consciences à acheter. — Cette fois encore la victoire reste au droit. » Dans ce placard, Rossel est qualifié de misérable qui a livré le fort d’Issy, et cela se termine par des objurgations qui promettent modestement un triomphe assuré.

Dans la même séance, Jean-Baptiste Clément signale ce qu’il appelle un fait grave. Tous les jours, aux barrières, on voit se présenter des voitures de déménagement sur lesquelles il est difficile d’exercer une surveillance efficace. Jean-Baptiste Clément, en homme avisé et qui sait ouvrir un œil vraiment révolutionnaire, a pris le parti de faire arrêter invariablement toute voiture qui tente de sortir par les portes de son arrondissement (XVIIIe) ; il demande que cette mesure soit généralisée et appliquée à toutes les barrières de Paris. Cette proposition a lieu de surprendre. Paris était alors l’inverse de l’île de l’honneur, on y pouvait entrer, on n’en pouvait sortir. C’était comme une ville atteinte de la peste ; on faisait tout pour s’en échapper, et, malgré les précautions prises par les inquisiteurs de la revendication sociale, on y réussissait. Ils en étaient furieux, et sous prétexte d’atteindre les émissaires secrets du gouvernement légal, mais en réalité pour exercer sur chaque habitant les vexations d’une police odieuse, ils promulguèrent l’arrêté que voici : « Article 1er. Tout citoyen devra être muni d’une carte d’identité contenant ses nom, prénoms, profession, âge et domicile, ses numéros de légion, de bataillon et de compagnie, ainsi que son signalement. Art. 2. Tout citoyen trouvé non porteur de sa carte sera arrêté et son arrestation maintenue jusqu’à ce qu’il ait établi

  1. Procès Meissonnier et Bontemps, débats contrad. 3e conseil de guerre, 24 août 1875.