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eu contre lui un autre chef du parti-national libéral, M. Lasker, les progressistes du parlement, qui ont vertement critiqué les nouveaux projets. Tout n’est pas facile dans cette voie de réaction, et ce qui est peut-être assez curieux, assez significatif, c’est que M. de Bismarck a trouvé un adversaire fort sérieux dans un de ses collaborateurs officiels d’autrefois, l’ancien chef de l’office de la chancellerie impériale, M. Delbrück, qui s’est nettement prononcé contre la nouvelle politique commerciale.

L’opposition que cette politique soulève dans une partie de l’Allemagne, qui s’est produite avec un certain éclat dans le parlement de Berlin, cette opposition est évidemment très complexe. Pour les uns, la question économique passe avant tout, c’est la lutte d’une liberté modérée et bienfaisante contre le régime protecteur renaissant. Pour les autres, il y a une question de garanties constitutionnelles ; il y a en jeu le principe du contrôle parlementaire qui pourrait être annulé ou éludé par la création de ressources permanentes laissées à la disposition d’une omnipotence centrale. La discussion n’a pas laissé d’être vive, et après bien des discours on a fini par renvoyer une partie des projets douaniers à une commission spéciale. C’est peut-être, dans la pensée de ceux qui ont fait cette proposition, un moyen déguisé d’ajournement ou d’atermoiement ; mais M. de Bismarck n’est pas homme à se laisser amuser, à s’arrêter pour si peu, et il vient de saisir le parlement d’un projet particulier par lequel le gouvernement serait autorisé à établir dès ce moment, par voie sommaire et provisoire, les tarifs proposés, en attendant le vote définitif. Il faut dire que la situation, étant donnée, cette mesure était devenue peut-être nécessaire, parce qu’en vue d’une prochaine élévation de tarifs le commerce allemand se hâtait d’augmenter ses approvisionnemens à la faveur des droits qui existent encore. Le chancelier a voulu déjouer ce calcul de la spéculation, qui n’est après tout que le petit côté dans la grande discussion poursuivie aujourd’hui à Berlin. M. de Bismarck arrivera vraisemblablement à son but, dût-il avoir quelque peine à réaliser sa réforme ; il réussira, puisqu’il y tient, puisqu’il a longuement prémédité l’évolution qu’il accomplit, puisqu’il met visiblement une volonté forte à ce qu’il a entrepris. Il reste à se demander s’il aura bien préparé cette prospérité commerciale et financière à laquelle il entend travailler, s’il n’aura pas gratuitement provoqué des représailles qui ne seront après tout que légitimes, s’il ne sera pas entraîné dans des guerres de tarifs, qui n’ont jamais servi ni les intérêts économiques ni l’intérêt supérieur de la paix générale. La question est de savoir quelles seront les conséquences plus ou moins prochaines de la réaction protectionniste en Allemagne, dans quelle mesure cette évolution, tout économique en apparence, se lie à l’ensemble de la politique du chancelier. Ce n’est peut-être pas sans quelque dessein que M. de