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langage incorrect la pensée vibre, toute spontanée et toute chaude, et l’enthousiasme éclate avec une sincérité imprudente et hardie que l’écrivain plus tard, devant sa table de travail, ne retrouvera jamais. Les croquis peints par M. Jacquemart devant les paysages de Nice, de Menton et des alentours ne sont que des notes, mais des notes d’une justesse admirable et d’une vivacité communicative. On peut citer, comme les meilleurs, les Platanes sur la route de Nice, où les troncs écorchés des arbres frileux revêtent des pâleurs si singulières dans l’aigre clarté du ciel d’hiver, et le Vieux château de Menton, où les grands bois d’oliviers déroulent, avec mille teintes délicates, leurs longs massifs grisâtres sous les éclats violens des maçonneries blanches et du ciel profondément bleu.

L’aquarelle qui, entre les mains de M. Jacquemart comme dans celles de Mme  Nathaniel de Rothschild, dont on voit là quelques beaux paysages, est un moyen d’improvisation rapide, de notation exacte devant la nature, devient, pour d’autres artistes, un genre à part de peinture complète et définitive qui peut lutter et qui lutte, pour la finesse et l’achèvement, avec la miniature. Les plus habiles, suivant les cas, font appel à l’une ou l’autre des ressources propres au genre. M. Louis Leloir, en particulier, excelle à choisir son moment, pour être vif ou calme, libre ou réservé, hardi ou précieux, large ou minutieux. Il n’agit pas de même lorsqu’il enlève une scène joyeuse comme les Premiers pas ou lorsqu’il détaille, avec la patience d’un enlumineur du moyen âge, sur les marges étroites d’un livre, les figurines spirituelles de Gil Blas et du Mendiant. Dessinateur correct, compositeur attentif, observateur patient, M. Leloir n’a gardé de l’héritage un peu mêlé de Fortuny que ce qui convient au goût clair des amateurs français. Son seul défaut est celui de presque tous nos peintres de genre, une certaine froideur, mais qui chez lui se dissimule d’ordinaire sous un voile de grâce et de distinction, tandis qu’elle apparaît sous des formes plus banales chez quelques-uns de ses confrères. MM. Worms et Vibert, par exemple, praticiens fort habiles, ne perdraient point à réchauffer leur couleur et à ranimer leur dessin. Leurs figurines, soignées à ravir, placées avec un soin extrême au milieu d’accessoires bien choisis, mais immobilisées dans leurs attitudes et glacées dans leurs physionomies, semblent n’oser faire un mouvement de peur de gâter leurs vêtemens ou de perdre leur pose. La Menace de l’Amour, le Barbier poète, par M. Worms, n’en sont pas moins d’agréables anecdotes, et M. Vibert, malgré son rire froid, montre toujours son talent de dessinateur dans les drôleries, un peu vieillottes, dont il fait supporter les frais aux gens d’église, le Cardinal lisant Rabelais, le Champ du repos, le Calme plat. On peut préférer pourtant à ces plaisanteries douteuses, renouvelées avec trop de gravité, de simples études pittoresques telles que le Sanglier et la Maïa. Quant à M. Maurice Leloir, le plus jeune de tous, il