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permettant que l’expression incomplète d’une sensation superficielle devant certains détails de cette réalité. On peut comprendre que, d’une part, l’incessant besoin de raffinemens et de subtilités qui ronge, dans un milieu de bavardages fiévreux et de surexcitations maladives, des esprits prématurément blasés, et que d’autre part une répugnance, souvent généreuse, pour les formules imposées aient pu pousser un certain nombre de jeunes gens inexpérimentés à considérer le travail des siècles comme non avenu et à rechercher la conception de l’art telle que pouvaient l’avoir les premiers inventeurs de la peinture. Les maîtres primitifs, dans toutes les écoles, expriment en effet leurs sensations les plus vives avec une simplicité de moyens qui contraste étrangement avec les complications tourmentées des procédés modernes. Chez eux, la maladresse est poétique et l’incorrection sublime, parce que l’incorrection n’y est qu’une forme naturelle et parlante de l’émotion. Ils vont si droit à l’expression juste, sans s’attarder aux recherches parasites, qu’ils simplifient tout, composition, formes et couleurs, avec une hardiesse et un bonheur qui nous font envie. Pour retrouver cette simplicité et cette santé d’expression que faudrait-il donc ? Retrouver la simplicité et la santé de leur âme. Voilà précisément où nos impressionnistes échouent. Ils veulent faire de l’art naïf, ils ne sont pas naïfs, ils ne désirent même pas l’être, et c’est par là surtout qu’ils se montrent inférieurs à leurs prédécesseurs, les réalistes. Tandis que ceux-ci, recrutés parmi les paysagistes, prêchaient à leurs adeptes l’horreur des villes empestées et l’amour des campagnes salubres, les nouveaux réformateurs s’enferment de parti pris dans les milieux les plus factices de la capitale. C’est dans les théâtres, dans les brasseries, sur les boulevards, dans les ateliers, partout où les figures humaines apparaissent maquillées, fatiguées et troublées, qu’ils vont faire récolte d’impressions. S’ils vont aux champs, c’est le dimanche, avec la cohue des citadins, poussant jusqu’à Asnières et Bougival, tout au plus jusqu’à Fontainebleau, pour y retrouver ce qu’il y a de moins champêtre au monde, les guinguettes peinturlurées, les canotiers en déshabillés prétentieux et les canotières en falbalas de pacotille.

Nos indépendans ne sont en réalité que des retardataires isolés, enfonceurs de portes ouvertes, plaideurs de causes gagnées. Ils ne sont les seuls ni à savoir faire l’analyse subtile des phénomènes lumineux, ni à vouloir placer les choses dans leurs vrais milieux, ni même à subir le charme honnête et délicat de l’art anglais ou à saisir la poésie vive et capricieuse de l’art japonais. L’influence de l’Angleterre et du Japon est visible dans notre école ; mais ce n’est point à M. Degas ni à Mlle Marie Cassatt que nous devons ce mouvement. M. Degas et Mlle Cassatt sont pourtant les seuls artistes qui se distinguent dans ce groupe d’indépendans soumis, et qui donnent quelque attrait et quelque