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exécutés d’une pointe savante et sûre, Mme Bracquemond, dont les cartons très sages n’impliquent point une rupture bien éclatante avec les traditions ordinaires de l’art décoratif ? Que viennent faire tels et tels, peintres de portraits, de natures mortes, de paysages, qui peignent comme on peint dans les ateliers les plus bourgeois, lourdement et maladroitement, sans regarder la nature ou sans la comprendre, avec les mêmes procédés et les mêmes formules ? Ce qui manque en vérité le plus aux trois quarts de ces indépendans, c’est une indépendance quelconque, une façon particulière de voir. Tel se traîne de loin, avec quelle pesanteur ! sur les traces de Millet et s’y embourbe jusqu’au cou ; tel autre change en haillons hideux les joyeux chiffons de couleur que Corot savait suspendre, légers et frémissans, aux ramées indécises de ses bois entrevus. Presque chez tous la banalité est criante, sans y garder l’excuse de la modestie.

C’est un fait bien rare pourtant, dans l’histoire des arts comme dans l’histoire des sociétés, qu’une agitation collective se manifeste quelque part, sans prendre sa source dans un besoin réel et un désir légitime. La manifestation peut affecter des formes violentes, se donner une importance tout à fait disproportionnée, compromettre d’avance son succès par des théories absurdes. Il n’en reste pas moins au fond le symptôme d’une évolution, grande ou petite, de l’esprit public qu’il est toujours prudent d’analyser. L’insurrection réaliste, dirigée vers 1855 contre l’art officiel, avec un fracas grossier, par le fameux Courbet, donnait satisfaction à une certaine lassitude des formules classiques et romantiques, à un certain désir d’un art plus vigoureux et plus naturel, qui commençait à gagner la génération nouvelle. Le mot de réalisme n’était qu’un mot à effet inventé pour l’oreille ; toutefois, sous le mot, il y avait la chose, c’est-à-dire ce retour salutaire vers le naturalisme auquel sont périodiquement soumis, chez les peuples vivans, tous les arts qui ne veulent pas mourir. Courbet mena cette révolution avec la brutalité opiniâtre d’un paysan matois et borné. N’importe, il avait donné le branle. Depuis ce lourd passage, les artistes les moins disposés à oublier la noblesse native de l’art n’ont pu dédaigner comme auparavant la peinture solide et l’observation franche. Courbet voyait court, mais il voyait juste ; tous les peintres qui ne verront pas juste seront désormais délaissés.

L’école vigoureuse des réalistes et la coterie débandée des impressionnistes n’ont pas sans doute la même importance. L’une reprenait, en somme, avec conviction, le puissant mouvement de rénovation par la vérité qu’avaient déterminé Théodore Rousseau, Troyon, Millet, et qu’ils soutenaient encore ; l’autre se confine dans un piétinement sur place, trop limité pour n’être pas inutile. Les réalistes avaient déjà amoindri l’art en le voulant réduire à une reproduction indifférente de la réalité, les impressionnistes le veulent amoindrir encore en ne lui