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L’ÎLE DE CYPRE.

ainsi comme des faubourgs d’outre-mer, et les riches campagnes de l’île comme une seconde banlieue, plus spacieuse et plus fertile que leur territoire inégal et montueux, découpé en étroits compartimens par de hauts promontoires, derniers prolongemens des puissans contre-forts auxquels s’appuyaient les sommets du Liban.

Il y avait donc comme un courant qui partait des cités phéniciennes et qui venait baigner les plages orientales et méridionales de Cypre, y porter les croyances et les cultes, l’industrie, les arts et les mœurs de la race chananéenne. Quand plus tard les Grecs débarquèrent à leur tour sur ces mêmes grèves, déjà, par l’effet de cette action lente et prolongée, le sol de Cypre, jusque dans ses couches les plus profondes, s’était, si l’on peut ainsi parler, imprégné de ces influences. Celles-ci s’exercèrent donc tout d’abord sur les nouveaux arrivés ; elles s’imposèrent à eux comme le climat qu’ils avaient trouvé dans l’île, comme l’air même qu’ils respiraient ; elles continuèrent d’ailleurs de se faire sentir avec la même force et dans la même direction bien longtemps après la fondation des premières colonies achéennes. Les Grecs de Cypre restèrent donc soumis à l’ascendant d’une civilisation qui pouvait déjà se prévaloir alors d’un passé très long et très bien rempli. Ils étaient loin des grands foyers où s’alluma et où brilla le plus éclatante et le plus pure la flamme du génie hellénique ; ils étaient loin de l’Ionie, ce printemps de la Grèce, plus loin encore d’Athènes, son riche et glorieux été. Tout au contraire, ils étaient avec les Phéniciens en un contact intime et journalier ; par leur intermédiaire, ils se trouvaient rapprochés de l’Assyrie et de l’Égypte, plus tard de la Perse. Dans leur mouvement d’expansion et de conquête, l’un après l’autre, ces grands empires asiatiques ou africains se saisirent de Cypre, de ses mines et de ses forêts, réduisirent ses princes à la condition de tributaires.

Une telle situation et de tels contacts durent amener plus d’un croisement entre Sémites et Aryens. Hérodote, au ve siècle, était frappé de la diversité des élémens dont se composait la population de Cypre ; il croyait y trouver, outre des Grecs de provenances différentes, des Phéniciens et même des Éthiopiens. Le mélange des races était d’ailleurs favorisé, ce semble, par l’esprit et par les rites du culte de Paphos, d’Idalie et de Golgos, par la licence de mœurs que ce culte provoquait et paraissait autoriser. Autour de ces sanctuaires que visitaient tant d’étrangers, dans ces ports que fréquentaient tant de marins et de commerçans de tout pays, il s’était formé un peuple de sang mêlé qui parlait à la fois le grec et le phénicien, qui comprenait aussi les dialectes araméens de la Syrie septentrionale et de la Cilicie. Le type que nous offrent les monumens de la