Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/405

Cette page a été validée par deux contributeurs.
399
L’ÎLE DE CYPRE.

pour que l’on ait pu en déterminer encore la nature. Les ateliers que les potiers phéniciens avaient établis à Kition et dans d’autres endroits furent le berceau d’une industrie locale, qui se répandit ensuite dans l’île tout entière et qui paraît y avoir gardé ses traditions et ses procédés jusqu’aux derniers jours de l’antiquité. Des figures d’hommes et d’animaux se rencontrent bien dans la décoration peinte de certains vases qui, par leur couleur, par leurs formes et leurs dessins, ont un caractère cypriote très marqué ; mais ces figures n’y prennent jamais d’importance et n’y arrivent jamais à la beauté. Une chasse, un défilé de soldats, de cavaliers et d’animaux, tels sont à peu près les seuls motifs auxquels la céramique cypriote fasse parfois une place à côté de cette ornementation toute géométrique qui lui sert d’ordinaire à décorer les surfaces. À proprement parler, il n’y a jamais ici de sujet traité ; jamais le potier ne représente, sur l’argile fraîche, une de ces scènes que les artistes grecs tiraient, en les variant à l’infini, du fonds inépuisable de leurs mythes nationaux ou du spectacle de la vie domestique et des jeux de la palestre. Un très petit nombre de vases, trouvés dans l’île, semblent faire exception à cette règle ; mais ce sont ou des ouvrages importés du dehors, ou le résultat de tentatives isolées qui n’ont pas fait école. En thèse générale, on peut dire que les fabriques cypriotes n’ont jamais eu l’idée de se servir du champ des vases qu’elles produisaient par milliers pour y peindre un tableau ; Cypre n’a pas eu, à prendre ce mot dans son vrai sens, de peintre céramiste ; elle n’a eu que des décorateurs qui, pendant de longs siècles, ont obstinément répété les mêmes formes, les mêmes dessins, laborieusement contournés et monotones dans leur bizarrerie[1].

Là où n’existait même pas la peinture sur vase, la peinture d’histoire, celle des Polygnote et des Zeuxis, des Parrhasius et des Apelle, n’a pas dû fleurir ; aucun texte ne nous apprend que Cypre ait pris une part quelconque au développement et aux progrès de la peinture grecque. L’art, à Cypre, est toujours resté dans la dépendance et sous l’influence des modèles orientaux ; or l’Orient, l’Égypte aussi bien que l’Assyrie, n’a jamais connu la peinture proprement dite ; il en est toujours resté à l’enluminure ; il n’a pas su s’élever au-dessus de cette convention qui prête à toute partie de l’objet représenté, quelles qu’en soient l’importance et l’étendue, un ton plat, toujours le même, que ne font varier dans son identité ni

  1. Au sujet de la céramique cypriote, on consultera avec fruit le mémoire très judicieux et très savant qu’a joint au livre de M. de Cesnola M. A. S. Murray, conservateur adjoint des antiquités au Musée britannique. Il est intitulé On the pottery of Cyprus, et est accompagné de plusieurs planches curieuses.