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L’ÎLE DE CYPRE.

montrais à mon interlocuteur la vignette dont j’avais fait choix à l’avance ; c’était là, lui disais-je, l’image de l’objet qu’il avait volé. Je le sommais de me le restituer à l’instant ; s’il s’exécutait de bonne grâce, au lieu de le punir, comme je pourrais le faire, pour avoir cherché à me tromper, j’aurais encore la bonté de lui faire un beau cadeau.

« Pris au piège, le malheureux paysan se frappait la tête des deux mains ou levait les bras au ciel en signe d’étonnement et d’effroi. « Panaghia mou, Vierge chérie, s’écriait-il, comment faire ? Il a un livre qui lui dit tout ! » Il se confondait en excuses, et bientôt arrivait l’objet désiré. M. Layard n’a jamais pu prévoir que ses découvertes assyriennes rendraient à l’un de ses successeurs ce genre de service, que son livre deviendrait ainsi un instrument de découverte. Ce fut de cette manière que je réussis sans trop de peine à rentrer en possession de tout ce qui avait été recueilli avant mon arrivée. »

L’accent et l’aplomb de M. de Cesnola étaient sans doute pour beaucoup dans cette rapide perception des rapports qui rattachent l’art cypriote à l’art assyrien ; cependant le consul aurait risqué de manquer son effet s’il n’y avait pas eu ce que l’on appelle un air de famille entre plusieurs des monumens d’Athiénau et les bas-reliefs de Khorsabad, de Kouioundjik et de Nimroud. Dans toutes les collections et tous les recueils où l’on a voulu classer les statues et statuettes cypriotes, une des catégories que l’on a été conduit à former comprend ce que l’on a nommé les figures de style assyrien. Dans celles-ci, la coiffure n’est plus celle que nous avons décrite ; c’est une sorte de casque ou plutôt de bonnet pointu qui semble fait d’une étoffe treillissée ; il ressemble au tutulus étrusque et les prêtres grecs portent encore aujourd’hui, dans certains cantons de l’île, un bonnet tout pareil. Leurs prédécesseurs ont dû le recevoir, lors du changement de culte, des derniers prêtres du paganisme ; ils l’ont conservé avec cette ténacité dont il y a tant d’exemples dans cet immobile Orient, pour qui les siècles ne comptent pas plus que pour l’Occident les semaines et les jours. Cette coiffure qu’ils ont transmise à nos contemporains, les prêtres de l’Aphrodite-Astarté cypriote l’avaient eux-mêmes empruntée, selon toute apparence, à ceux des divinités assyriennes et chaldéennes ; nous la retrouvons, à de très légères différences près, sur la tête de personnages qui paraissent remplir des fonctions sacerdotales, dans la bordure émaillée d’une grande porte de ville, à Khorsabad.

Les figures dans lesquelles le caractère égyptien est le plus marqué ont les cheveux cachés sous la tiare ou sous une pièce d’étoffe qui retombe sur les épaules ; le visage y est presque toujours im-