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compte onze milles marins, vingt kilomètres environ ; même pour des trières, c’est une faible distance. Callicratidas aperçoit, à la nuit tombante, des feux nombreux s’allumer sur la côte qui fait face au cap Malée, pointe orientale de ce port magnifique que tous les marins connaissent aujourd’hui sous le nom de port Olivier; il ne met pas en doute un instant qu’il n’ait devant lui les Athéniens. Sans attendre le jour, il appareille. Le temps est sombre; Callicratidas se flatte de tomber à l’improviste au milieu des vaisseaux ennemis. Pour un hoplite, ce n’est pas si mal calculer; les dieux malheureusement ne jugent pas à propos de seconder ce projet. Un violent orage éclate et retient la flotte du Péloponèse près du bord. Des trières ne s’aventurent pas volontairement au large quand le ciel ouvre ses cataractes, ou quand Jupiter fait gronder sa foudre. Notez que la trière ne représente pas toutes les facultés de navigation de la marine antique; elle est essentiellement un vaisseau de combat, un navire bas de bord, parce qu’un navire à rames doit présenter le moins de surface possible à la brise, un navire chargé d’équipage, de faible tirant d’eau, d’une épaisseur de bord âge qui dépasse à peine celle des tôles d’acier de nos bateaux-torpilles. Le bâtiment de charge, lourd et enhuché, est, au contraire, de taille à braver tout ce qu’affronte aujourd’hui la sakolëve, s’il n’est pas la sakolève même. Les bateaux du pays ont trouvé de bonne heure leur formule, et les siècles ont passé sur eux sans altérer leur coque ou leur voilure. Les marins, avant de devenir des mathématiciens, étaient si routiniers! Je ne blâme donc pas Callicratidas de s’être montré docile à la voix des élémens; ce ne fut de sa part que la marque d’un esprit prudent et judicieux. Son peu d’habitude de la mer eût pu l’incliner à un parti plus violent ; il s’en fût sans doute assez mal trouvé.

Le jour se lève; les derniers murmures de la tempête s’apaisent. Callicratidas se dirige sur les Arginuses. Prévoyant qu’il pourra succomber dans l’action, il a déjà désigné Cléarque pour lui succéder. L’affaire va s’engager en effet sous de fâcheux auspices. Les devins consultés ont défendu d’en venir aux mains. Les devins ont-ils donc quelque pressentiment dont il faille tenir compte? Les événemens futurs peuvent-ils projeter quelque ombre devant eux? cette ombre, la distinguent-ils dans le vol des oiseaux ou dans les entrailles des victimes? L’appétit des volailles sacrées fut-il jamais un sérieux pronostic? Qui sait? Les préjugés des nations ne doivent point être sans doute tenus, comme les proverbes, pour un fonds commun de sagesse. On aurait tort cependant de les repousser en bloc; commençons d’abord par les retourner sous toutes leurs faces; nous prononcerons ensuite.