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ses amis s’agitent. Non-seulement ils apportent peu de zèle au service, mais on les entend répéter partout que les Lacédémoniens commettent une grande faute en changeant ainsi, à des époques périodiques et arrêtées d’avance, le commandement. Qu’arrive-t-il? A l’instant le moins favorable, à l’heure la plus critique, des gens sans talent, des généraux ignorans du métier de la mer, peu familiarisés avec les coutumes du pays allié, viennent se substituer à des chefs investis de la confiance du soldat et de la faveur du roi de Perse. Sparte a le culte de ces pratiques surannées; Dieu veuille qu’elle ne se prépare pas ainsi de grands malheurs!

Toutes ces plaintes finissent par arriver aux oreilles de Callicratidas. Ce jeune général était « le meilleur et le plus juste des hommes, » un Dorien des anciens temps, simple et droit, peu fait pour se mouvoir au milieu de pareilles intrigues. Il passe brutalement la tête à travers la toile d’araignée. « Je n’ai pas sollicité, dit-il, le commandement de la flotte ; il m’eût certes été beaucoup plus agréable de demeurer chez moi. Sparte m’a nommé, et j’ai dû exécuter ses ordres. Vous prétendez que je n’entends rien en marine, que Lysandre, au contraire, est un homme de mer consommé. Et quand cela serait ! que voudriez-vous en conclure ? vous plaît-il que je me démette des fonctions qui m’ont été imposées? dois-je retourner à Sparte et aller annoncer à ceux qui m’ont envoyé l’accueil que me réservaient les amis de Lysandre ? » Marchez sur le fantôme, il s’évanouit. Au bout de quelques jours, la soumission est complète. Lysandre le premier en a compris la nécessité; son orgueil indompté n’en rêve pas moins une satisfaction dernière. Il veut qu’on sache bien qu’au moment où il retourne à Sparte, tout ce qu’on pouvait combattre est vaincu, tout ce qu’on pouvait soumettre est conquis. « Je te remets, dit-il à Callicratidas, le commandement de cette flotte que j’ai rendue maîtresse de la mer. C’est à un vainqueur, ne l’oublie pas, que tu succèdes. J’ai acquis devant Notium le droit de prendre le titre de thalassocrate. » Voilà bien du bruit pour vingt-deux vaisseaux coulés ! Tromp, en pareil cas, se contentait d’arborer à la tête de son grand-mât un balai. « Si tu es réellement le roi de la mer, répond Callicratidas à Lysandre, montre-le en allant défiler devant Samos. Ne me remets pas la flotte à Éphèse; viens me la remettre à Milet. Je te reconnaîtrai alors comme thalassocrate. » La plaisanterie ne paraît pas avoir été du goût de Lysandre. « Ce n’est plus à lui, dit-il, c’est à Callicratidas de délier les Athéniens, puisque c’est Callicratidas qui commande.» Il dit et s’embarque pour le Péloponèse, désolé de quitter sa flotte, mais heureux de laisser du moins le chef qui le remplace dans l’embarras.