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ils s’entourent. L’intervention des citoyens dans les affaires communales doit être permanente; ils ont droit à la libre manifestation de leurs idées, à la libre défense de leurs intérêts; mais « la commune est seule chargée de surveiller et d’assurer le libre et juste exercice du droit de réunion et de publicité, » ce qui équivaut à dire que la commune s’arroge le pouvoir de suspendre le droit de réunion et la liberté de la presse, quand elle le jugera opportun. Elle n’y faillit pas; la manifestation pacifique de la rue de la Paix fut dispersée à coups de fusil, et quand la commune s’écroula, elle avait supprimé tous les journaux. Ce sont là, du reste, les façons d’agir familières aux gens dont le métier consiste à fomenter et à exploiter les révolutions; n’est-ce pas au nom de la liberté que la loi du 21 prairial fut imposée à la convention?

Sans cette proclamation du 16 avril, nous aurions pensé que la journée du 18 mars n’avait été qu’un coup de main heureux mené par la bande de la révolte permanente. Nous nous trompions : « La révolution communale commencée par l’initiative populaire du 18 mars inaugure une ère nouvelle de politique expérimentale, positive, scientifique. C’est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation, de l’agiotage, des monopoles, des privilèges auxquels le prolétariat doit son servage, la patrie ses malheurs et ses désastres. » Franchement, nous ne l’aurions jamais cru, car la commune fut précisément une époque où tout le monde était fonctionnaire, où chacun se galonnait et s’empanachait, où tous les membres de tous les comités et de toutes les délégations se considérant comme des êtres privilégiés substituaient leur volonté aux prescriptions des lois, où l’on remplaçait l’agiotage par l’effraction des caisses publiques et particulières, où le prolétariat fut littéralement réduit en esclavage, au plus rude, au plus implacable, à celui du service militaire forcé, sous peine de mort et pour la guerre civile. La guerre civile, la commune ne fut que cela; elle en produisit la plus cruelle explosion que l’on ait vue. Pour ceux qui en vivaient, pour ce troupeau de fédérés auxquels elle servait de prétexte à ne pas travailler, à jouer au soldat, se battre et se griser, elle n’était qu’un but. Mais pour les conspirateurs de la commune, elle était un moyen. Ils espéraient vaguement quelque victoire qui leur assurerait la toute-puissance qu’ils rêvaient, et il est bien probable que, fidèles en cela aux traditions du jacobinisme dont ils s’inspiraient, ils eussent été alors des maîtres sans pitié pour ce prolétariat au nom duquel ils ont prétendu parler. Leur proclamation confuse et flottante au début, tant qu’il n’est question que des réformes à opérer, devient subitement très nette et très ferme lorsqu’il s’agit d’intéresser la France à la révolte, et de lui demander son appui :