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ses écharpes rouges. Aussitôt que les premiers combats eurent fait comprendre que l’assemblée nationale était bien décidée à ne point abaisser la légalité devant les fantoches que le Paris insurrectionnel avait installés à l’Hôtel de Ville, on imagina les funérailles triomphales pour honorer les victimes des sbires de la réaction. Des corbillards, pavoisés de drapeaux rouges, suivis de quelques membres de la commune, escortés par des bataillons fédérés dont chaque homme portait un bouquet d’immortelles, passaient solennellement sur les boulevards, au bruit des tambours voilés et des marches funèbres. C’était donner une satisfaction considérable aux gens du peuple, dont le rêve a toujours été d’avoir «un bel enterrement.» On déploya des splendeurs inusitées pour un certain colonel Bourgoin, qui fut tué le 6 avril devant Neuilly. Le billet de part est à citer comme spécimen de ce style boursouflé qui semble inhérent à la prose révolutionnaire : « Ministère de l’intérieur. Direction générale des lignes télégraphiques. Cabinet du directeur général. République française. Liberté, égalité, fraternité, justice. Commune de Paris. Paris, le 8 avril 1871. Citoyens, citoyennes, vous êtes priés d’assister aux funérailles du citoyen colonel d’état-major de la garde nationale, Louis-Jules Bourgoin, chef de la télégraphie militaire, âgé de trente-six ans, mort héroïquement à la tête de ses compagnons d’armes, devant la barricade de Neuilly, le jeudi 6 avril 1871, à trois heures quinze du soir. Ses funérailles auront lieu le dimanche 9 avril, à une heure très précise. On se réunira à l’état-major de la garde nationale, place Vendôme. Le cortège se rendra de là par les boulevards jusqu’au cimetière du Père-Lachaise. Le sang des martyrs est une semence de héros! Vive la France! vive la commune! vive la république, une et indivisible, démocratique et sociale! » Je vis passer le corbillard; plus de vingt mille hommes armés l’accompagnaient. J’ignore qui était ce Louis-Jules Bourgoin pour la mort duquel tout le monde de la fédération fut en rumeur, et dont l’oraison funèbre fut prononcée dans plus d’un journal; un homme brave à coup sûr et s’enivrant aux fusillades; mais j’ai sous les yeux un billet écrit par lui et qui démontre que la vaillance et l’orthographe n’ont entre elles aucun rapport : « Citoyen général commandant la place de Paris. J’ai vous prie de m’oyez 3 ou 4 bataille du 4e arrondissement lequel j’apartien pour relever ceux qu’ils sont à ma disposition car ils sont très fatigués. J’ai vous envois 4 chevaux que nous avons regeulli. Veuillez remettre un reçu au porteur du présent ordre. Salu fraternelle. L’adjoin au chef de la 4e légion : Bourgoin. J’ai resterais à la tête des troupes de l’arrondissement jusqu’à l’afin. » Jusqu’à l’afin il en fut ainsi, et les corbillards ont défilé dans nos rues, tout empanachés de rouge et suivis par des volontaires de la révolte qui préféraient