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l’élection du citoyen Frankel, qui n’était point un Allemand, comme on l’a cru, mais un Hongrois, né à Buda-Pesth. Le dernier acte du comité central, le premier acte de la commune, démontrent que les prétentions de ces étranges apôtres dépassaient singulièrement les limites de Paris, et même les frontières de la France; loin d’aspirer au gouvernement administratif d’une ville, ils entrevoyaient la domination du monde. Rêver si haut pour tomber dans le sang de la rue Haxo, de la Grande-Roquette, dans le pétrole de Paris incendié, ce serait véritablement burlesque, si ce n’était horrible[1].

Cette domination, — qui passerait sur la terre comme un nouveau déluge, — ils comptaient bien l’exercer eux-mêmes au détriment de toute autre classe sociale, l’exercer au nom du prolétariat révolutionnaire qu’ils avaient la prétention de représenter exclusivement, quoique la plupart d’entre eux ne fussent que de petits bourgeois déclassés. Cela apparaît très clairement dans les variétés du Journal officiel de la commune. Jean-Baptiste Clément, élu par le XVIIIe arrondissement avec 14,188 voix, connu dans le monde des guinguettes par une chanson intitulée : Les petites bonnes de chez Duval, lâche dans le numéro du 3 avril un article d’une bouffonnerie passablement malsaine : Les rouges et les pâles. Les rouges représentent le peuple qui a toutes les vertus ; les pâles sont les bourgeois patibulaires auxquels nul vice ne fait défaut. «Les rouges sont des hommes de mœurs douces et paisibles qui se mettent au service de l’humanité quand les affaires de ce monde sont embrouillées et qui s’en reviennent sans orgueil et sans ambition reprendre le marteau, la plume ou la charrue. » Les pâles « ont quatorze siècles de tyrannie dans les veines, des crimes par-dessus la tête ; des oubliettes, des cadavres, des remords sur la conscience. Ils marchent sournoisement la dague au poing, la fourberie dans les yeux, le coup d’état sur les lèvres. » Le chansonnier conclut en disant : « Dieu, s’il existait, serait avec nous. » Quatre jours après, 7 avril, Albert Regnard renchérit sur ce pathos : chouans et girondins, il met tout dans le même sac: « Qu’importe aux Jules Favre! qu’importe aux Thiers et aux Picard ! à nous les zouaves de Mentana; à nous les assommeurs de Pietri, les chouans de Charetteet de Cathelineau et tout ce que la France a pu vomir d’égorgeurs et d’assassins, y compris les forçats de Brest et de Toulon. » Mais je m’arrête; la plume a peine à suivre le bouillonnement de la haine et de la colère qui débordent. C’est la même idée sous une autre forme. Les chouans et les

  1. On renchérit encore. Un ancien architecte, nommé H. Barnout, qui avait inventé la borne maudite, sorte de pilori qu’il proposait d’élever à la honte des malfaiteurs de l’humanité (empereurs et rois), « réduit la devise de l’avenir aux quatre termes suivans : souveraineté universelle — contribution universelle — héritage universel — expropriation universelle. » Le Vengeur, numéro du 8 avril 1871.