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Cette modestie honore le comité central, qui, avant de s’effacer officiellement devant la commune insurrectionnelle et de conserver secrètement presque tout le pouvoir, légiférait ou du moins y faisait effort. Du 19 au 29 mars, il tient à l’Hôtel de Ville onze séances dont les procès-verbaux n’ont point été perdus. C’est Assi qui préside. Promptement on lève l’état de siège et on abolit les conseils de guerre; c’est là en quelque sorte du platonisme, car l’état de siège va être remplacé par l’enrôlement forcé, les perquisitions à domicile, les arrestations arbitraires, les confiscations; aux conseils de guerre on va substituer la cour martiale. La question qui préoccupe le comité n’est point philosophique, elle est d’un ordre exclusivement matériel. C’est la question d’argent. Le item faut vivre s’impose avec brutalité; sauf quelques sommes peu importantes, oubliées dans les caisses ministérielles ou municipales, tous les fonds avaient reflué sur Versailles ; on se trouvait dénué en présence d’une population qui ne gagnait rien et de trois cent mille fédérés qu’il fallait nourrir. Le comité n’aurait eu qu’à étendre la main pour s’emparer d’une immense fortune : une des annexes de l’Hôtel de Ville, celle où résidait, où réside encore l’Assistance publique, contenait 3 millions en numéraire et 75 millions en titres nominatifs. C’était là un budget tout trouvé que l’on se fût volontiers approprié par voie d’emprunt, si l’on en eût connu l’existence. Lorsque l’on y pensa, il était trop tard ; un employé très intelligent avait, au péril de sa liberté, sauvé le patrimoine des indigens de Paris, et avait réussi à le transporter hors et loin de la ville insurgée. Dès la première séance, 19 mars, on décide d’avoir recours à la Banque de France et de lui demander les sommes indispensables aux exigences quotidiennes. Ce qui en résulta, nous l’avons déjà minutieusement raconté. Mais ce que l’on peut arracher à la Banque ne suffira pas; Rousseau propose (21 mars) de frapper un impôt proportionnel sur la caisse de tous les chemins de fer; Grolard et Blanchet demandent que l’on confisque et que l’on vende au profit de la commune[1] les biens de tous les députés et sénateurs qui ont voté la guerre. Dans cette même séance, Varlin, désirant épargner les maigres finances du comité, propose de mettre à la disposition des chefs de poste des bons de réquisition. De là va naître un abus tellement scandaleux que Varlin lui-même se verra forcé plus tard de le combattre énergiquement sans parvenir à le diminuer.

La question financière n’occupait pas tellement les membres du comité central qu’ils ne trouvassent le temps de prendre des déterminations vraiment burlesques. Le 21 mars, Chouteau, appuyé par Blanchet, fait nommer Menotti Garibaldi gouverneur des forces militaires

  1. Je crois que le mot commune doit ici être entendu dans le sens de Paris municipe.