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en retraite sur Versailles, où le chef du pouvoir exécutif l’avait précédée.

Le souci le plus pressé des nouveaux maîtres de Paris fut de s’installer à l’Hôtel de Ville, dans le vieux palais municipal qui, aux jours d’émeute, donne la victoire au premier occupant et dont, si souvent déjà, les ordres ont été servilement obéis par la France. Cette fois heureusement, entre la France et Paris, il y eut Versailles, où l’assemblée nationale venait de se réunir, et qui put protéger ce qui subsistait encore de notre civilisation. C’est là une des crises les plus périlleuses que notre pays ait traversées ; pour en retrouver l’analogue, il faut remonter très haut dans l’histoire, jusqu’en 1418, à ce moment où la lutte d’Armagnac et de Bourgogne atteint son plus violent degré d’acuité, où Capeluche, le bourreau de Paris, mène les truands à l’assaut des prisons, où les Anglais battent l’estrade aux portes de la ville, où la reine Isabeau se travestit en Messaline, où le pauvre roi de France est fou. Grâce à Versailles, où s’était réfugiée toute légalité, la crise fut courte, — quoiqu’elle nous ait paru bien longue, — elle fut violente, mais elle fut surtout honteuse pour ceux qui en profitèrent pendant deux mois et ne surent même pas en tirer parti. Tous les prétextes invoqués furent menteurs; sauf un nombre singulièrement restreint d’hommes égarés, les vainqueurs illettrés qui, dans Paris stupéfait, venaient de se substituer au pouvoir légal, ne se mirent en frais d’imagination que pour prendre le vin, pour prendre les filles, pour boire, pour manger, pour s’amuser tout leur soûl; un d’eux, plus franc que les autres, l’a dit : pour faire la noce.

Leur victoire n’était qu’un coup de main dû à un concours de circonstances, de désastres vraiment extraordinaires; ils le sentaient, et malgré qu’ils en eussent, ils en étaient troublés; mais, comme l’on dit en langage révolutionnaire, le peuple avait l’œil sur eux. Le massacre de deux généraux, l’incarcération de deux autres avaient pu le distraire momentanément, mais en réalité ne constituaient pas le bonheur qu’on lui avait promis, qu’on lui promettait, et dont les tyrans de la bourgeoisie, du cléricalisme et du capital l’avaient seuls jusqu’à présent empêché de jouir. Le peuple était en droit de dire à ces chefs ignorés de tous et peut-être de lui-même : « Nous vous avons suivis jusqu’où vous avez voulu, jusqu’à l’insurrection, jusqu’au crime, jusqu’à la trahison devant l’ennemi; vous nous avez dit que vous possédiez la poudre de projection qui transmue les métaux en or, que seuls vous pouviez résoudre la question sociale, dont on parle sans cesse et à laquelle nous ne comprenons rien; Paris est à nous, est à vous, faites-en la cité modèle ; demain au réveil il faut que nous soyons tous heureux. » Or quelque ignorans, quelque insensés qu’ils aient été, les hommes du