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par les insurgés, tout est à craindre, et l’état de choses que nous allons essayer de créer s’écroule avant même d’avoir reçu un commencement d’existence. En un mot, si nous sommes vaincus avec nos troupes actuelles, c’est une partie à recommencer et à gagner; en admettant, au pis aller, que nous perdions Paris, nous en serons quittes pour le reprendre ; mais si nous ne réussissons pas à briser toute résistance avec une armée réorganisée, c’en est fait de nous : ce n’est pas Paris seulement qui serait aux mains de la révolution, c’est la France entière, et c’est là un coup de dés que je ne veux pas jouer. » Ces raisons fort graves et qui méritaient de n’être point dédaignées, M. Thiers les corroborait par une croyance qui n’était qu’une illusion. Il était persuadé que toute la partie saine et tranquille de la population se lèverait pour l’appuyer et l’aider à désarmer la révolte. L’expérience d’une longue carrière et de la pratique des hommes le servit mal en cette circonstance. Lui qui connaissait si bien l’histoire de la révolution française, qui avait eu à sa disposition les archives de tous les pays, il aurait pu se rappeler ce que le comte de Fersen écrivait au roi Gustave III, à la date du 13 juin 1792 : « Les bourgeois et la partie de la garde nationale qui voudraient s’opposer aux projets révolutionnaires n’ont plus de chefs ni de point de ralliement, et ils prendront le parti qu’ils ont pris jusqu’à présent, de gémir, de crier, de se désespérer et de laisser faire. » En 1871 comme en 1792, on laissa faire, et le résultat fut le même : nos pères ont eu la terreur, et nous avons eu la commune.

Au 18 mars, le comité central de la fédération de la garde nationale fut surpris de l’attaque, qui avait été rapidement menée et à laquelle il ne s’attendait pas. Si l’on avait tenu bon, la révolte était écrasée dans l’œuf; mais l’armée paraît avoir été mollement engagée, elle se désagrégea, comme l’on sait, et se perdit au milieu d’une population qui, sous prétexte de fraterniser, la désarma. La résistance locale de Montmartre fut dirigée par le comité de vigilance du XVIII e arrondissement, établi à la chaussée de Clignancourt et dont faisait partie Théophile Ferré, qui ne consentit jamais à ce qu’on relâchât les gendarmes prisonniers. Les hommes du comité central ont proclamé bien haut qu’ils se lavaient les mains du sang des généraux assassinés et que pendant tout ce jour ils n’avaient pas pris une seule disposition militaire. C’est là une protestation intéressée à laquelle il ne convient pas d’ajouter une foi absolue. D’abord on avait adopté depuis une semaine environ une mesure générale qui ne nuisit pas au succès de la journée ; le comité central donnait à ses bataillons fédérés un mot d’ordre et un mot de ralliement qui n’étaient point ceux que distribuait l’autorité compétente. Ainsi, le 18 mars, les mots de la place étaient : Bosquet, Bayonne;