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réformateur prétendait ne laisser asseoir sur les bancs du jury que les représentans les plus éclairés et surtout les plus moraux de la société[1], mais à quel signe extérieur reconnaître les qualités intérieures, les qualités morales des hommes? Dans son embarras, le gouvernement russe a dû recourir aux vieux procédés en usage à l’étranger, il a demandé aux jurés certaines conditions d’âge, de domicile, de fortune ou de position. Le principe du cens, nouveau en Russie, a été appliqué au jury aussi bien qu’aux états provinciaux. Pour les assesseurs jurés (prisiagniéè zasêdatéli), le cens varie suivant les localités[2]. Dans un pays où les classes qui se livrent aux affaires et au commerce sont encore souvent fort ignorantes et peu délicates, où la richesse même est loin d’être toujours un indice d’instruction et de moralité, un revenu de quelques centaines de roubles n’offre pas à la justice une bien solide garantie. Aussi n’a-t-on pas cru pouvoir se contenter du cens. Les gens que leur âge et leur fortune placent, dans les conditions indiquées par la loi sont chaque année inscrits d’office sur les listes générales du jury (obchtrhii spisok), mais cette inscription ne fait d’eux que des candidats aux fonctions de jurés. Sur les rôles ainsi dressés, on choisit les hommes qui paraissent présenter le plus de garanties de moralité et de capacité, et l’on forme ainsi une seconde liste (olchered spisok) qui seule comprend les noms parmi lesquels doivent être tirés au sort les jurés de chaque session. Ce difficile travail d’épuration n’est pas confié aux agens du pouvoir, il a été abandonné aux représentans élus des provinces, à une commission de ces zemstvos de district auxquels revient déjà le choix des juges de paix[3].

Il semble qu’un jury ainsi trié, ainsi passé à un double crible, ne doive être composé que d’hommes dignes d’y siéger. Les faits montrent qu’il est loin d’en être toujours ainsi, et beaucoup des défauts

  1. Voyez les considérations dont est accompagné l’article 7 des lois judiciaires dans l’édition donnée par la chancellerie impériale.
  2. Il faut posséder au moins cent desiatines (environ cent neuf hectares) de terre dans les campagnes, ou bien un immeuble d’une valeur de 2,000 roubles dans les capitales, de 1,000 roubles dans les chefs-lieux du gouvernement, de 500 roubles dans les autres localités, ou bien encore il faut jouir d’un revenu ou d’un traitement d’au moins 500 roubles dans les capitales et 200 dans le reste de l’empire.
  3. Dans les provinces de l’ouest qui demeurent privées d’assemblées provinciales, les listes des jurés doivent être dressées par des commissions spéciales composées de juges de paix et de fonctionnaires de la police. La révision de ces listes est confiée à une commission provinciale qui a le droit d’en rayer qui bon lui semble sans avoir à mentionner les motifs de ses décisions. Le chiffre des israélites portés sur les registres du jury doit être proportionnel au chiffre de la population juive du district, mais en aucun cas le chef du jury ne peut être Israélite. Ces règlemens spéciaux édictés en 1877 devaient recevoir leur application en 1878; mais le manque d’argent ou les défiances du pouvoir ont, croyons nous, arrêté jusqu’ici l’introduction des nouveaux tribunaux dans ces gouvernemens de l’ouest qui restent ainsi privés du bénéfice de la réforme.