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Le malheur de M. Jules Ferry est de tout confondre dans ses discours comme dans ses projets, de déplacer, de compromettre par ses confusions une question des plus sérieuses, la question de l’enseignement, qui devrait rester en dehors des partis comme un objet privilégié de la sollicitude des pouvoirs publics. On dirait, au gré de certaines personnes, que si l’enseignement en France laisse aujourd’hui à désirer, c’est la faute des congrégations, c’est parce que les maisons religieuses, recherchant des succès faciles, bornent leurs soins à dresser les jeunes gens pour les examens universitaires. Ce n’est pas d’aujourd’hui ni d’hier et ce n’est pas de l’intervention plus active des congrégations que date ce système qui ne peut avoir en effet qu’une influence dépressive sur l’enseignement. Déjà dès 1849 et 1850 les doyens des facultés de l’état le voyaient se produire; ils constataient avec chagrin dans leurs rapports l’affaiblissement des études, la tendance à « n’envisager l’instruction classique qu’au point de vue du baccalauréat, à n’acquérir que les connaissances rigoureusement nécessaires pour obtenir le diplôme. » Le mal n’a peut-être fait que s’étendre et s’aggraver depuis ; il existe, il appelle un remède, et le remède n’est certainement que d’une manière très incomplète dans les mesures assez décousues dont M. le ministre de l’instruction publique a pris l’initiative, surtout dans la réforme qu’il propose pour la composition du conseil supérieur. Il y a dans tout cela un esprit de précipitation trop visible, dénué de largeur et de supériorité, et si on veut arriver à des résultats sérieux, les projets du gouvernement devront subir d’assez profonds remaniemens; mais la question n’est pas là pour le moment, elle n’est plus même dans la collation des grades, qui est facile à reprendre, pas plus que dans les droits de surveillance de l’état, qu’aucun esprit désintéressé ne contesterait : elle est tout entière dans les dispositions par lesquelles M. le ministre de l’instruction publique porte une évidente atteinte à la liberté d’enseignement, et particulièrement dans l’article qui exclut, par voie d’exception, par un jugement sommaire de tendance, les membres des congrégations religieuses ou de certaines congrégations. C’est là tout le débat : il est assez grave pour que bien des sentimens, bien des intérêts différens s’en soient émus et assez délicat pour que M. le ministre de l’instruction publique pût se dispenser sans inconvénient d’en embarrasser un régime nouveau.

Vainement M. Jules Ferry s’efforce de se rattacher aux « traditions nationales, » à ce qui se faisait sous l’ancienne monarchie, aux précédens du libéralisme de la restauration ou du gouvernement de 1830. Vainement il appelle à son aide les grands mots, les vieux préjugés, les vieilles passions irréligieuses, les déclamations sur le cléricalisme, et il secoue des robes de jésuites devant son public d’Épinal. Les moines ne sont des raisons en aucun sens. Il ne s’agit point ici d’une affaire de religion, d’un droit privilégié de corporation réclamé et exercé par des