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des méthodes qu’il essaie d’appliquer, et c’est tout. Voici qui est plus grave. C’est de vouloir faire entrer, bon gré, mal gré, tout un monde, pour ainsi dire, dans la biographie d’un seul homme ; c’est de remonter jusque par delà le déluge et pour préparer notre ignorance à comprendre l’Esprit des lois, c’est de passer par exemple une revue des « prédécesseurs de Montesquieu, » qui sont donc Brahma, Bouddha, Confucîus, Moïse, Platon, Aristote, Polybe, Cicéron, Mahomet, Beaumanoir, Machiavel, Bodin, Hobbes, Locke, Grotius, Puffendorf, Bossuet et Fénelon. Sans doute, nous le savons de reste, et depuis longtemps, tout est dans tout. Rien de plus facile, en vérité, parce que les Secondat avaient deux cent cinquante ans de noblesse, que de nous rappeler à ce propos « en quoi consistaient les droits féodaux » à la fin du XVIIe siècle. Je m’étonne seulement, puisque Montesquieu fit ses études chez les oratoriens de Juilly, que M. Vian ne nous ait pas esquissé là-dessus l’histoire de la congrégation de l’Oratoire en général et du collège de Juilly en particulier. Avec de pareils procédés on en arrive un jour à composer des ouvrages comme l’ouvrage posthume de M. de Loménie sur les Mirabeau, deux volumes, deux énormes volumes, de chacun six cent cinquante pages, où il est parlé de tout, — des servitudes féodales, du droit d’aînesse, de l’ordre de Malte, de la doctrine physiocratique, — et traité de tout à fond, sauf justement de Mirabeau, le grand tribun de la révolution, le seul homme de la famille qui nous intéresse, et le seul qui compte, à vrai dire, dans la littérature et dans l’histoire. Il ne faut pas désespérer, à voir de quel train courent les choses, que l’on aille plus loin encore et que notre siècle de paperasses ait la gloire de pousser à sa perfection cet art nouveau de parler de n’importe quoi à propos de n’importe qui. Passe au moins quand on possède une connaissance approfondie du sujet que l’on traite, je veux dire quand on en a dès longtemps exploré les alentours, et qu’ayant vécu, comme l’auteur des Mirabeau, toute une vie de bénédictin dans la méditation de quinze ou vingt années d’histoire, on s’est en quelque manière insinué dans la familiarité, dans l’intimité d’un siècle et d’une société disparus; mais il ne faut pas lire bien attentivement cette Histoire de Montesquieu pour s’apercevoir que tel n’est pas le cas de M. Louis Vian et que l’historien n’a du XVIIIe siècle qu’une connaissance légère.

Je ne parle pas des anecdotes controuvées, comme le récit d’une conversation de Montesquieu avec le « le fameux Marlborough » — mort depuis sept ou huit ans quand Montesquieu visita l’Angleterre. Le coupable est ici Diderot, ce qui nous permet en passant d’inviter les historiens de la littérature du XVIIIe siècle à n’user de la correspondance de Diderot qu’avec des précautions infinies. Mais « en faisant revivre ces aimables salons d’autrefois, » comme l’en félicite M. Laboulaye, de quelle autorité M. Vian se couvre-t-il pour appeler Mme de Lamber: « la bru du joli voyageur Bachaumont? » M. Vian aura lu quelque