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pays ne peut plus nourrir. Chaque année il apporterait la laine; en échange il approvisionnerait de blé les populations des hauts plateaux. Puis il aurait pour gros trafic la ressource de l’alfa. Cette plante, longtemps dédaignée, qui couvre de ses touffes, à l’exclusion presque de toute autre espèce végétale, une superficie de 6 à 7 millions d’hectares sur les deux versans du massif atlantique, a pris une grande place dans l’industrie, personne ne l’ignore. Le chemin de fer d’Arzew à Saïda se construit déjà dans le but de mettre en coupes réglées les plateaux de la province d’Oran. Veut-on savoir par un chiffre quel profit ce grossier textile est susceptible de donner à une entreprise de transport perfectionnée? L’alfa pousse sans soin ni culture, sur des terrains où les bestiaux trouvent à peine au printemps de quoi pâturer. Les tribus arabes n’y ont qu’un droit précaire de vaine pâture dont une bien faible indemnité les dédommage. Les frais de récolte ne dépassent pas 30 francs pour une tonne qui se vend 150 francs rendue dans un port de la Méditerranée. L’écart entre ces deux prix représente les menus frais accessoires, les bénéfices de l’exploitation et la dépense du transport. Enfin, le commerce européen en peut absorber déjà 300 à 400,O00 tonnes par an. Ceci permet d’apprécier le profit que promet l’alfa aux chemins de fer dirigés vers le sud de l’Algérie.

Au delà de Laghouat, il est vraisemblable que la plate-forme de la voie s’établirait avec moins de frais; les ondulations du sol sont moins accusées; la valeur du terrain est nulle, bien entendu; l’eau manque, c’est le plus grave défaut, ou n’apparaît qu’à de rares intervalles. Qu’exportera-t-on de ce pays et qu’y importera-t-on? Les oasis donneront des dattes; le Soudan enverra ses fruits oléagineux, des gommes, du coton, peut-être plus tard du sucre, du café. Nous leur fournirons ce que les contrées manufacturières envoient dans tous les pays barbares, et en plus des céréales que les populations du Sahara viennent aujourd’hui chercher dans le Tell à dos de chameaux. S’il est vrai que le Soudan manque de sel, comme le racontent tous les voyageurs, ce condiment indispensable suffirait à lui seul au trafic d’un chemin de fer. Que l’on calcule en effet le poids qu’il en faudrait pour 50 millions d’âmes à en juger par ce que l’on en consomme en France.

L’idée qui revient toujours au fond des projets de M. Duponchel est de mettre ces 50 millions de Soudaniens eu rapport avec le monde civilisé par l’intermédiaire des ports de l’Algérie. La concurrence industrielle est devenue telle entre les nations européennes que chacune s’efforce de conquérir des débouchés. Que l’on consulte une mappemonde, on s’assurera que ce n’est plus qu’au cœur de l’Afrique qu’il faut chercher de nouveaux consommateurs. Cet épais continent, auquel on accordait généreusement, il y a dix ans,