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augmentant encore les charges. Nous n’avons pas besoin de citer des exemples, ils sont malheureusement trop nombreux dans notre pays. Un état riche qui ne se préoccupe pas de sa dette en temps ordinaire, lorsqu’elle est arrivée à un chiffre très élevé, agit comme un homme qui, bien portant aujourd’hui, ne songe pas qu’il peut être malade un jour et ne fait aucune provision en conséquence.

Cette provision, dit-on, nous l’avons dans le retour des chemins de fer aux mains de l’état lorsque l’usufruit actuel des compagnies aura cessé, et il cessera dans une moyenne de soixante-dix ans. À cette époque, en supposant que la recette totale, qui maintenant dépasse 800 millions par an, s’élève à 1 milliard et que les frais d’exploitation continuent à être de 40 pour 100, soit de 400 millions, nous aurons une recette nette de 600 millions à mettre en regard des intérêts de la dette. Voilà un amortissement sérieux et efficace. Bien naïf serait celui qui compterait sur une pareille ressource. Dans soixante-dix ans, quand les chemins de fer reviendront à l’état, celui-ci se trouvera en présence d’autres exigences qui seront certainement très vives; on lui demandera de réduire les tarifs; les bas tarifs, dira-t-on, sont la condition essentielle du progrès de l’industrie et du commerce, l’arme de la concurrence vis-à-vis de l’étranger, et pourquoi l’état ne les abaisserait-il pas au niveau des frais d’exploitation, puisqu’il n’a plus de capital à rémunérer? On objectera en vain qu’il y a nécessité de faire face aux intérêts de la dette. On répondra qu’on y faisait face auparavant et qu’il faut avant tout donner de l’essor au développement de la richesse. L’état a bien construit les routes à ses propres frais, et il ne fait rien payer à ceux qui s’en servent; il a réduit de même à l’extrême limite le péage à percevoir sur les canaux, pourquoi agirait-il autrement en ce qui concerne les chemins de fer? Est-ce parce que ceux-ci sont plus employés et plus utiles? Raison de plus pour les mettre à de bonnes conditions à la disposition du public. On peut donc considérer comme à peu près certain, dès aujourd’hui, que l’état, après le retour gratuit des chemins de fer en sa possession, sera dans l’impossibilité de défendre les tarifs et de les tenir à un niveau sensiblement supérieur aux frais de l’exploitation. Les 600 millions de produit net auront à peu près disparu, et il n’y aura rien pour compenser les intérêts de la dette, si ce n’est la plus-value de la richesse publique. Mais quelle sera alors la dette? Si on pose en principe qu’il n’est pas nécessaire de songer à l’amortissement, elle aura certainement augmenté, et la plus-value de la richesse pourra se trouver fort insuffisante. Non, en tout état bien ordonné et qui veut avoir de bonnes finances, il faut songer à l’amortissement,