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Bonaparte, qui rêvait toujours la conquête de l’Inde, résolut de marcher à sa rencontre et entreprit l’expédition de Syrie, à laquelle Kléber fut attaché comme divisionnaire. On sait comment après de brillans débuts, la prise d’El-Arych et de Jaffa, la victoire du Mont-Thabor remportée par Kléber, l’armée, décimée par la peste, échoua sous les murs de Saint-Jean-d’Acre et dut revenir sur ses pas. Surexcités par ce succès, les Turcs tentèrent un débarquement à Aboukir : ils furent battus ; mais les mamelucks et les Arabes n’en continuèrent pas moins à inquiéter l’armée française et à la tenir sans cesse en éveil.

Bonaparte, qui, après l’échec de l’expédition de Syrie, jugeait la situation compromise, puisque la perte de notre flotte interrompait toute communication avec la mère patrie, qui comprenait que sa gloire personnelle n’avait rien à gagner à un séjour plus prolongé dans ce pays, qui désirait d’ailleurs continuer son rôle sur un plus grand théâtre, se décida à rentrer en France et à laisser à Kléber le commandement de l’armée. Il donna rendez-vous à celui-ci le 24 août 1799 à Rosette, pour conférer avec lui, disait la dépêche, « sur des affaires extrêmement importantes ; » mais il n’attendit pas cette date et, pour éviter les reproches que Kléber n’eût pas manqué de lui adresser, il s’embarqua dès le 22, chargeant le général Menou de remettre à ce dernier la lettre qui lui conférait le commandement. Il emmenait avec lui les meilleurs officiers, abandonnait l’armée au moment même où la situation devenait plus difficile et n’hésitait pas à sacrifier à son ambition les compagnons qui avaient suivi et servi sa fortune. Kléber fut indigné de cette conduite ; mais, sentant désormais peser sur lui la responsabilité tout entière et ne voulant pas imiter l’exemple qui lui était donné, il ne laissa rien paraître de ses sentimens et informa ses divisionnaires par la lettre suivante de sa nomination :


« Le général en chef est parti dans la nuit du 22 au 23 août pour se rendre en Europe. Ceux qui connaissent, ainsi que vous, l’importance qu’il attachait à l’issue glorieuse de l’expédition d’Égypte doivent apprécier combien ont dû être puissans les motifs qui l’ont déterminé à ce voyage ; mais ils doivent se convaincre en même temps que dans ses vastes projets comme dans toutes ses entreprises, nous serons sans cesse l’objet principal de sa sollicitude.

« L’intérêt de la patrie, me dit-il, sa gloire, l’obéissance, les événemens extraordinaires qui viennent de s’y jouer, me décident seuls à passer au milieu des escadres ennemies pour me rendre en Europe.

« Je serai d’esprit et de cœur avec vous, et je regarderai comme mal employés tous les jours de ma vie où je ne ferai pas quelque chose pour l’armée dont je vous laisse le commandement et pour consolider