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À neuf heures du soir, Lefebvre embarque une partie de sa division, comprenant quatre bataillons de grenadiers, quelques compagnies de carabiniers et d’infanterie légère, la 10e et la 13e demi-brigades, cent hommes de cavalerie, une pièce de 8 et un obusier. Pendant l’embarquement, Lefebvre et son état-major passèrent le fleuve en même temps que l’artillerie française ouvrait le feu sur toute la ligne pour détourner l’attention de l’ennemi. La traversée s’effectua sans encombre et les troupes débarquèrent avec la plus grande facilité. L’avant-garde se mit aussitôt en mouvement et chassa les Autrichiens de Spick et des différens postes où sur d’autres points ils devaient s’opposer au passage. Au centre, à Uerdingen, la division Grenier éprouva plus de difficultés parce que ses bateaux s’engravèrent ; elle réussit cependant à débarquer, grâce aux troupes de Lefebvre qui, menaçant les Autrichiens par derrière, les forcèrent à se retirer. À la droite, la division Championnet fut pendant le trajet accueillie par un feu violent de mousqueterie qui mit le désordre dans le convoi ; deux bateaux seulement abordèrent ; les quatre-vingts grenadiers qui les montaient chargèrent aussitôt l’ennemi à la baïonnette, le chassèrent de ses positions et facilitèrent ainsi le débarquement du reste de la division.

Cette magnifique opération, conduite avec une prudence et une vigueur remarquables, avait réussi en présence d’une armée ennemie de onze mille hommes qui, depuis huit mois, fortifiait tous les points attaquables. Le corps de Kléber une fois sur la rive droite, le reste de l’armée de Sambre-et-Meuse effectua à son tour le passage ; elle se rabattit ensuite sur Mayençe de façon à compléter l’investissement de cette place, assiégée sur la rive gauche par les troupes du général Schaal, de l’armée du Rhin-et-Moselle.

Pendant que Jourdan continuait la campagne avec des alternatives de succès et de revers, Kléber fut mis à la tête des troupes qui bloquaient Mayence, et pour la seconde fois chargé de la direction du siège ; mais comme à la première fois, les ressources ne répondaient guère au courage des troupes et au génie du général en chef ; les outils manquaient, l’artillerie était insuffisante. Aux difficultés très réelles venaient se joindre pour Kléber des ennuis personnels, suscités par l’ancien état-major de Schaal et de Pichegru, qui prétendait conserver la direction du siège :


« Je t’adresse, écrit-il à Jourdan, différentes lettres qui viennent d’être envoyées à Bonamy, par les adjudans-généraux des quatre divisions de la rive gauche. Je puis t’assurer, mon cher camarade, que c’est par amitié pour toi que j’ai accepté le triste et pitoyable commandement que tu m’as confié, et parce que j’espérais que, sous tes ordres, je n’éprouverais pas de ces misérables tracasseries que nous ne connûmes