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derrières, et que, pour peu que mon débarquement réussisse sur la droite et sur la gauche, j’aurai tourné en un instant ces immenses lignes et ces batteries formidables qu’ils ont construites et construisent sans cesse sur les bords du Rhin…

« Ah ! mon ami, si une autre fois tu es chargé d’une opération de cette importance, demande des montagnes d’or ; l’or seul dans les cas aussi pressans aplanit tout, accélère tout. Gillet se désespère de ce que cela ne va plus vite ; mais il est loin de nous en attribuer la faute ; il la rejette sur Lacombe (du Tarn) et sur Richard. Le premier, dit-il, savait bien qu’il fallait passer le Rhin, mais il ne croyait pas que pour cela il fallût un pont ; le second a perdu un mois entier en tergiversant, avant d’empoigner la chose par le bon bout…

« Tu me proposes du renfort ; je l’accepte avec plaisir, si à la tête tu veux me mettre un homme occupé de son métier et qui entende mon langage, sur lequel je puisse compter avec une parfaite sincérité, et qui soit capable enfin de transmettre à ses troupes le feu électrique que je ferai passer dans son âme. Cet homme, avec ses troupes, je le chargerai de l’embarquement et de l’attaque de vive force des postes vis-à-vis de l’Erft, pour tourner ensuite Dusseldorf ; je mettrai avec lui les officiers du génie qui me sont arrivés de l’armée du Nord, et dont l’un, très au fait des embarquemens et des débarque nu ns, réunit beaucoup de talent au plus grand courage.

« Tu comprends bien que c’est de Bernadotte que je veux parler ; c’est lui, mon cher Jourdan, que je te demande avec six bataillons et la moitié du régiment de Chamborand ; sitôt le Rhin passé, je te le rends… »


Kléber soumet à Jourdan son plan de passage, en indiquant tous les détails d’exécution, assignant à chacun sa place et ordonnant à l’avance, heure par heure, tous les mouvemens à effectuer. Le jour venu, il se rend lui-même au centre des attaques à l’anse d’Uerdingen, où Jourdan, qui voulait assister à l’opération, vint le rejoindre ; il donne à ses troupes l’ordre du jour suivant :


« Crefeld, 5 septembre 1795.

« Aujourd’hui, mes camarades, nous passons le Rhin. Depuis longtemps vous attendiez ce signal, avec l’impatience du courage. Il est donné ; volez à la victoire.

« Dans cette belle entreprise, j’attends tout de votre valeur ; familiarisés avec la gloire et les périls, cette expédition est digne de vous :

« Audacieux dans l’attaque, intrépide dans le combat, emportant tout à la baïonnette, tel est le caractère du Français, tel est le caractère que vous aurez à soutenir.

« Le général Jourdan est parmi vous, il veut partager vos dangers et vos triomphes. »