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Deux victoires successives venaient de confirmer l’ascendant des Athéniens ; elles ne les avaient pas enrichis. L’or perse pouvait encore rétablir la balance, la faire même pencher en faveur des Péloponésiens. Thrasylle, un des stratèges, part à l’instant pour Athènes ; il va y chercher des hommes, des vaisseaux, de l’argent, — de l’argent ? s’il en reste encore dans le trésor jadis si bien rempli de l’Acropole. « C’est Plutus, » ne l’oublions pas, « qui équipe les trières. » Les rameurs athéniens attendront-ils avec patience le retour de Thrasylle ? Il y a bien longtemps qu’ils n’ont vu le paiement régulier de la solde ; si l’on veut prévenir les désertions, il est sage d’aviser. Les généraux se concertent : quarante vaisseaux suffiront bien pour garder l’Hellespont ; les autres peuvent, sans danger, être employés à écumer les îles. Ce ne sera pas la première fois qu’Athènes aura battu monnaie par la perception de contributions forcées. Puis enfin reste la grande ressource, la ressource dont on s’est tant promis, dont on attend tout encore. Cette ressource, c’est l’influence d’Alcibiade. Si Alcibiade possède réellement le crédit dont il s’est targué, l’heure est venue ; qu’il le montre ! Tissapherne est en ce moment à Éphèse ; Alcibiade se fait conduire par une trière à l’embouchure du Caystre ; il est trop prudent pour compromettre dans cette aventure la petite escadre dont il dispose en maître ; c’est déjà bien assez d’y hasarder sa personne. Les mains teintes du sang des soldats de Pharnabaze, le fils de Clinias ose se présenter à Tissapherne. Le satrape fait sur-le-champ arrêter son ami. Entre Athènes et Lacédémone le roi de Perse a cessé d’hésiter ; ordre est donné à tous les gouverneurs de province de se déclarer contre les Athéniens. Alcibiade arrêté, on le conduit à Sardes. Est-ce bien là une arrestation sérieuse ? Quelque complicité secrète n’unit-elle pas encore le vice-roi de l’Ionie et le séduisant conseiller qui a si longtemps possédé sa confiance ? Les fers, en tout cas, sont bien mal rivés, car, trente jours après son départ d’Ephèse, Alcibiade arrive de nuit à Clazomène. Il s’est procuré des chevaux et a trompé, dit-il, la surveillance de ses gardes. Dans quelques jours il aura rejoint la flotte, mais, — triste aveu de son impuissance, — il la rejoindra sans argent.

Est-ce toujours à Sestos que réside le gros de cette flotte ? Non ! c’est de l’autre côté de la Chersonèse que la trouvera le captif de Sardes. Mindaros, au moment où Thrasylle partait pour Athènes, Alcibiade pour Éphèse, d’autres détachemens pour les îles, avait encore sous ses ordres soixante vaisseaux. Le navarque de Sparte s’indigne de se voir ainsi gardé à vue par quarante trières athéniennes ; il quitte brusquement le mouillage d’Abydos. À peine sa flotte commence-t-elle à se détacher du rivage que les Athéniens,