Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que de semblables navires remplissent est si importante qu’on ne saurait donner trop d’attention à cette partie du service. Ce sont tes éclaireurs qui déterminent les résolutions de l’amiral; une reconnaissance mal exécutée, une appréciation inexacte peuvent compromettre toute une escadre, faire manquer une occasion qui ne se retrouvera plus ou amener un conflit inégal. Il importe donc de former avec autant de sollicitude de jeunes capitaines d’avisos que de vieux capitaines de haut-bord. Les futurs commandans des bâtimens qu’au jour du combat nous mettrons en ligne auront de cette façon l’occasion de se faire connaître et de prendre pour ainsi dire leurs degrés. »

Mal servis par leurs vigies, dépourvus d’éclaireurs, les généraux de la flotte athénienne laissèrent passer la flotte du Péloponèse sans tenter aucune démonstration pour l’arrêter au passage. Mindaros allait tomber comme la foudre dans l’Hellespont. Deux escadres, à peu près d’égale force, s’observaient déjà dans ce détroit : une escadre athénienne de dix-huit bâtimens mouillée devant Sestos, une escadre de seize vaisseaux péloponésiens préposée à la garde d’Abydos. Mindaros pouvait avoir quelque sujet d’espérer qu’il surprendrait les vaisseaux athéniens. Les vigies de la Chersonèse s’acquittèrent mieux de leur office que les vedettes de Lesbos. A peine les vaisseaux du Péloponèse, profitant des premières ombres de la nuit, eurent-ils quitté le mouillage de Sigée que toute la côte se couronna de feux. Les Athéniens étaient avertis; en un instant leurs navires furent sous voiles. L’appareillage eut lieu avec une telle célérité, dans un si remarquable silence, que les vaisseaux d’Abydos n’en soupçonnèrent rien. Moins d’un mille et demi cependant séparait alors les deux escadres. Voilà les tours de force de la discipline ! Collingwood ne se déroba pas avec plus de bonheur, pendant qu’il bloquait en 1805 la baie de Cadix, à l’escadre inattendue de Villeneuve. Les Athéniens toutefois, malgré ce premier succès, n’étaient pas encore complètement sortis du péril. Ils rasaient la côte de la Chersonèse quand le lever du jour révéla leur présence à la flotte de Mindaros. Quatre vaisseaux qui fermaient la marche tombèrent au pouvoir des Péloponésiens: les quatorze autres purent se réfugier à Imbros et à Lemnos. Mindaros jugea inutile de prolonger la chasse; il alla jeter l’ancre sur la ra e d’Abydos. Les Péloponésiens avaient dès ce moment quatre-vingt-dix-huit vaisseaux réunis dans l’Hellespont.

Quand Thrasybule et Thrasylle apprirent à Méthymne cette nouvelle, ils en furent un instant atterrés. Qu’allait penser Athènes? De quel châtiment punirait-elle cette impardonnable négligence? Il n’y avait qu’un coup d’éclat qui pût sauver leur responsabilité compromise. Thrasybule et Thrasylle se résolurent à le tenter, sans même