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Il écrivit aussitôt à M. Wickam, chargé particulièrement de tout ce qui concernait l’exécution de l’Alien-Bill. Il le vit le lendemain, et reçut de sa bouche l’assurance que ces bruits n’avaient aucun fondement. M. Wickam se montra attristé de l’esprit de tracasserie qui se montrait parmi les émigrés. C’était le baron de Roll, un des amis du comte d’Artois, qui avait répandu ces fausses nouvelles. Montlosier le sut et provoqua immédiatement l’auteur ; l’affaire s’arrangea, grâce à l’entremise du comte de Béhague et du comte Étienne de Durfort.

L’un des esprits les plus élevés du cabinet britannique, M. Wyndham, qui lisait régulièrement le Courrier de Londres, manifesta alors le désir de causer avec Montlosier sur les affaires de France. Ce fut dans le salon de lady Creeve que l’entrevue eut lieu ; la conversation prit un ton cassant et brusque : « Monsieur de Montlosier, demanda lady Creeve, vous êtes bien pressé, j’en suis sûr, de voir vos princes en France. — Oui, madame, mais avec une représentation nationale. — Vous pensez bien que la monarchie est le seul gouvernement qui convienne à la France ? — Oui, madame, mais avec les libertés publiques. »

Cette conversation frappa vivement l’attention de M. Wyndham. Elle fit grand tapage. Malouet, étant venu sur ces entrefaites rendre visite à Montlosier, commença par rire de sa franchise ; mais au fond il restait inquiet.

Tout entier à la direction de son journal, Montlosier suivait avec assiduité les séances du parlement. Sans être lié avec les chefs de l’opposition, il les connut ; Fox surtout. Il ne pouvait, du reste, y avoir de vive sympathie entre ces deux caractères ; Fox était réduit par les événemens à une tâche très délicate. Si Montlosier avait fortement blâmé comme lui la proclamation de Brunswick rédigée par M. de Limon, il ne pardonnait pas à la grande âme libérale de Fox de continuer de défendre la révolution. Depuis la guerre, Fox voyait fuir toutes ses anciennes amitiés et sa popularité ; il le sentait et il souffrait. Néanmoins sa politique pacifique venait d’obtenir un succès inattendu. Le discours du parlement (1798) annonçait que des négociations venaient d’être renouées avec le directoire. La stupeur des émigrés dépassa les bornes. Montlosier étant devenu une puissance avec son journal, l’évêque d’Arras le fit prier de passer chez lui. Il lui montra son effroi de ces apparences de paix, la république consolidée, les espérances de l’émigration anéanties. Montlosier, en homme avisé, ne croyait pas au succès des démarches de Malmesbury, mais par d’autres raisons que celles données par les émigrés. Avec la politique du directoire, la paix lui paraissait aussi ruineuse que la guerre pour les finances anglaises. La