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affaires de France. Il y a beaucoup d’esprit, de vues justes, de réflexions fines et quelques maladresses. D’Entraigues et Ferrand y sont fort mal traités. J’aurais voulu que ce qui les regarde fût moins amer sans être moins fort. »

À la suite de cette critique, Malouet, faisant allusion à une publication que préparait Mallet Du Pan, jetait en passant cette observation profonde : « On ne sait pas assez combien l’Angleterre, dans toutes ses entreprises contre la France, a été trompée par les Français. Ne croyez pas que ce soit le ministère qui ait projeté, combiné aucune de ces funestes opérations de l’intérieur ; toujours il a été provoqué, tourmenté, harcelé par vos faiseurs, et j’ai lieu de croire que le cabinet a cédé à regret en plus d’une occasion. »

On peut donc porter en toute sûreté de conscience un jugement sévère sur les menées de l’émigration. Mais les sottises n’eurent pas de fin.

Mallet Du Pan, qu’on redoutait de voir à Londres, n’y vint pas encore. Il envoya son fils dans les premiers mois de 1797, comptant sur ses amis pour lui procurer quelque emploi. Ce jeune homme eut à essuyer quelques bourrasques dans le salon de la princesse d’Hénin. Son père venait de publier la Lettre à un homme d’état. Tandis que les émigrés voyaient de plus en plus dans la marche des affaires en France la perspective de leur prochain retour, Mallet, mieux renseigné, parlait de l’avenir en esprit éclairé. On ne le lui pardonnait pas. Il restait aux royalistes exaltés une dernière illusion à se faire : ils voulurent absolument que Bonaparte fût un général Monk, ne cherchant à garder le pouvoir que pour le restituer au roi légitime.

Mallet Du Pan devait leur enlever encore cette espérance dans ses derniers écrits. Il quitta définitivement la Suisse avant qu’elle eût été envahie par les armées de la république. Il fut obligé de s’installer à Londres chez M. Reeves, qui venait de publier, sous le titre de Pensées sur le gouvernement, un pamphlet contre les institutions de son pays. Ce pamphlet avait été dénoncé au parlement, et l’auteur avait été poursuivi et condamné. Mallet demeura plus d’un mois dans sa maison. À coup sûr, de pareilles précautions ne pouvaient pas modifier les vues politiques d’un homme aussi arrêté et aussi sagace que Mallet Du Pan, mais elles indiquaient bien le degré d’aveuglement et de passion de tout un parti. On avait donc songé à lui préparer malgré lui un logement. Au bout d’un mois, Mallet Du Pan, averti, put abandonner M. Reeves.

Nous avons, dans cette étude toute politique, donné peu de place à la vie privée de Montlosier. Pour abattre cette nature vaillante et pleine de verve, il fallait des douleurs exceptionnelles. Elles ne lui