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conservent pas par la prodigalité et l’imprévoyance. Les gouvernemens fondés par la sagesse, par l’esprit de transaction ne se consolident pas par l’esprit de violence, de trouble et de combat. M. Littré le dit sagement : « Notre république est vieille, en fait de huit ans, en droit de quatre. C’est beaucoup, mais ce n’est pas assez pour qu’on la soumette aux expériences… Rien n’est présentement à chercher en dehors de la politique conservatrice et libérale, telle qu’elle a été instituée au début par M. Thiers, telle qu’elle a été maintenue avec patience et fermeté par le parti républicain après la chute de cet homme d’état. Cette politique a pour elle la raison et le succès ; n’y touchons pas à la légère. » Et M. Littré se fait honneur en saluant au passage dans sa retraite le plus éminent, le plus fidèle héritier de la pensée de M. Thiers, M. Dufaure, — « ce vieillard si ferme, si présent à tout, si éloquent, dit-il d’un accent touchant, à qui ici un autre vieillard, un peu moins vieux, mais plus débile, rend hommage par sa plume, seul instrument d’action qui lui reste. » M. Littré s’expose peut-être à être classé parmi les réactionnaires, pour avoir signalé le danger des « agitations d’une nature radicale » et même des faiblesses qui pourraient laisser un libre, cours à ces agitations. Il ne dit pas moins une vérité qui se dégage de tout, qui est comme la moralité de ces derniers mois, et à qui il ne manque, pour devenir une politique, que d’être soutenue résolument dans les conseils, dans le parlement par tous les hommes qui ne voient de république possible qu’à ce prix.

Quand il n’y aurait qu’une question, une seule question, celle de l’Orient, pour occuper l’Europe et la tenir en éveil, ce serait certainement assez. Cet Orient est l’éternelle région des orages ou tout au moins des complications et des redoutables incohérences. Pour rétablir et maintenir la paix, il faudrait d’abord s’entendre sur ce qu’on veut, sur des moyens de pacification qui ne seraient pas des moyens de destruction, sur des combinaisons qui ne seraient pas un embarras de plus.

Qu’a voulu dire ces jours derniers le nouvel ambassadeur d’Autriche à Londres, le comte Karolyi, dans un banquet d’une société de charité internationale où il a payé sa bienvenue par un discours ? L’ambassadeur de l’empereur François-Joseph, à son tour, a parlé de la paix en diplomate expert aux savantes nuances et laissant deviner toute sorte de choses. Il a paru faire dater de son arrivée à Londres ce qu’il a appelé un « événement historique » récemment accompli, « raffermissement des anciens liens d’amitié qui avaient longtemps uni les deux pays, » en un mot une ère nouvelle pour l’alliance de l’Autriche et de l’Angleterre. Il est vrai qu’il s’est bâté d’ajouter que c’était une a alliance non écrite ; » il ne s’est pas moins plu à assurer que « l’événement historique, » loin de « provoquer la guerre, ne peut avoir nécessairement d’autre but que celui de l’empêcher. » Le comte Karolyi s’est livré à cette curieuse stratégie de langage, s’avançant ou se dérobant tour à tour. Cela signifie