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ce que suppose d’oscillations une aussi humiliante contradiction. De là ces timidités d’action suivies de brusques repentirs, ces hésitations d’initiative suivies de résolutions irritées, ces ménagemens inquiets de droits indécis aboutissant à la suppression radicale de droits certains. En vérité, la politique du gouvernement colonial en toutes ces affaires est semblable de tout point à la figure d’Horace :

Desinit in piscem mulier fornosa supernè.


Elle a une tête de libéralisme, mais elle se termine invariablement par une queue d’arbitraire. Relativement au Transvaal et à l’état libre d’Orange, cette politique n’a été qu’une longue suite de démentis de conduite. Le fondateur de la république du Transvaal, l’énergique André Prétorius, était un rebelle notoire, il avait combattu contre l’Angleterre dans l’état d’Orange, et cette république était la conséquence directe de sa défaite. Le gouvernement anglais ne manquait donc pas de bonnes raisons, soit pour s’opposer résolument à cette création d’un révolté, soit pour laisser ce révolté agir à ses risques et périls en s’abstenant de reconnaître son entreprise, ce qui réservait le droit de la supprimer le jour où elle paraîtrait gênante. Au lieu de cela, que fait-il ? Il reconnaît cette république, bien mieux il coopère à sa création, et envoie deux commissaires auprès de Prétorius pour en fixer les bases d’accord avec lui, négociation à sincérité douteuse où se laisse lire, sous certaines clauses relatives à l’interdiction de l’esclavage et aux relations avec les indigènes, la pensée de l’intervention ultérieure. Vingt-cinq ans plus tard l’occasion longtemps attendue se présente, et la république du Transvaal, qu’il eût été plus loyal de ne pas reconnaître, est supprimée d’un trait de plume par un hardi commissaire anglais. Cette mesure sommaire, qui a fort ému l’opinion en Angleterre, peut se justifier, croyons-nous, par d’excellentes raisons ; seulement ces raisons ne sont pas précisément de celles que le libéralisme invoque d’ordinaire. Il est certain que la république sud-africaine, comme elle s’appelait pompeusement, était entrée dans un état de désagrégation qui ressemblait fort à l’agonie ; plus de force militaire, plus de caisse publique, plus de cohésion sociale, des citoyens se dérobant au paiement des taxes ou refusant le service militaire, des indigènes enhardis par cette anarchie, voilà le tableau des derniers jours de son indépendance. Elle ne pouvait donc plus vivre ; mais de ce qu’un état ne peut plus vivre, il ne s’ensuit pas qu’un voisin plus florissant ait le droit d’intervenir pour abréger ses souffrances en hâtant sa mort, surtout si ce voisin prétend se réclamer de la liberté. C’est encore un des principes du libéralisme contemporain que tout