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d’épisodes dramatiques ! N’est-ce pas une scène digne des épopées barbares que celle du meurtre de Retief et de ses compagnons par le roi des Zoulous, Dingaan, menteur à la foi qu’il vient de jurer et à l’hospitalité qu’il a offerte ? Ce n’est jamais la matière qui manque aux grandes entreprises poétiques, c’est l’ouvrier, et le présent exemple en est la preuve.

L’extension des colonies anglaises de l’Afrique australe est, on peut le dire, un paradoxe réalisé. D’ordinaire l’expansion s’opère par sympathie, concorde et harmonie, ici elle s’est opérée par aversion, révolte et vengeance. L’antipathie des boers a été bien plus profitable à l’Angleterre que ne l’aurait été leur docilité. Si les boers eussent été des sujets résignés, il est douteux que les établissemens coloniaux eussent embrassé l’immense étendue qu’ils occupent aujourd’hui ; mais les boers ont joué vis-à-vis de l’Angleterre le rôle que Raton joue dans la fable vis-à-vis de Bertrand, tirant des griffes des indigènes des territoires que l’Angleterre venait ensuite s’annexer et lui donnant ainsi une nouvelle colonie par chaque nouveau sujet de mécontentement. Si l’on vous présentait sur la scène le spectacle d’une animosité invétérée qui à chaque malédiction enrichirait le maudit d’un surcroît d’héritage, vous trouveriez sans doute l’invention bouffonne. C’est cependant le spectacle même que présente la politique coloniale de l’Afrique australe depuis tantôt quarante ans. En vérité, toute cette histoire des longues querelles de l’Angleterre et des boers présente certains traits qui touchent parfois au comique, et que nous nous étonnons de n’avoir vu mettre en lumière par personne. Voyez plutôt. Les boers sortent de la colonie du Cap et s’en vont chercher l’indépendance dans les solitudes qui s’étendent entre l’Orange et le Vaal. Bon voyage, et soyez sûrs que nous n’irons pas vous trouver ! leur crie le gouvernement anglais par l’organe du lieutenant-gouverneur Stockenström, qui déclare ne pas connaître de loi interdisant aux sujets de la reine d’aller s’établir où bon leur semble. Cependant, fatigués d’errer, forcés de repasser le Vaal qu’ils avaient franchi, et décimés par leur guerre contre la tribu des Matabeles et son chef Mazulekatze, les boers descendent sur le territoire de Natal. À peine ont-ils commencé à s’y reposer de leurs fatigues et font-ils mine de s’organiser que le gouvernement anglais intervient. Nous ne pouvons, leur dit-il, vous permettre d’établir un état indépendant à nos frontières ; avez-vous donc oublié que vous êtes nos sujets ? — Vos sujets, répondent les boers affolés, nous l’étions, nous ne le sommes plus, vous-même nous aviez donné licence de ne plus l’être, et plutôt que de retomber sous votre domination, nous préférons nous placer sous la protection du roi de Hollande. Le gouvernement colonial fait entrer quelques troupes que les boers battent à fond ; mais