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défend et tombe, étant toujours le plus faible. Nous emballons l’outarde dont le sort sera peut-être d’aller mourir sur d’humides bords, dans un couffin ou panier arabe en paille tressée qui a conservé le nom et, assure-t-on, aussi la forme du panier de figues dans lequel on apporta l’aspic fameux à Cléopâtre.

Après avoir serré bien des mains amies, nous sommes montés dans la voiture du kaïd, qui nous a emportés jusqu’à El-Outaya. Là, nous avons pris le char à bancs de Biskra dans lequel nous avons été rendus en quatre heures environ à El-Kantara, où nous avons couché, et le lendemain nous avons retrouvé notre voiturin, qui nous attendait pour nous conduire à Batna. Après quelques heures de repos dans cette ville, la diligence nous a reçus dans son dur coupé et nous a déposés sur la place de Constantine le mardi à six heures du matin. Pendant la dernière partie du trajet, nous avons été étonnés, lorsque le jour nous a permis de distinguer les objets sur notre passage, de trouver les bords de la grande route complètement verts, alors que dix jours auparavant nous les avions laissés parfaitement desséchés. On nous a appris en arrivant que depuis notre départ il n’avait guère cessé de pleuvoir et qu’il suffisait de quelques jours d’humidité seulement pour faire renaître, dans ce pays privilégié, la végétation qui n’était qu’endormie. Un assez grand figuier qui pousse en face de ma fenêtre à la hauteur du second étage, sur un pan de muraille écroulée et que j’avais vu perdre peu à peu ses feuilles durant l’été, a en effet retrouvé pendant mon absence toute sa parure touffue.

Constantine n’est pus maintenant à mes yeux le type de la ville africaine, comme je l’avais cru d’abord ; ses couleurs sont assurément admirables ; son site et ses montagnes ont sans doute la grandeur que j’avais justement admirée, mais, à présent qu’il m’a été donné de connaître le véritable Orient, sa végétation et le désert, cette ville peuplée et pittoresque me semble se rapprocher beaucoup du nord, participer à ses intempéries de saison et renfermer une population très européenne. Je veux cependant lui rendre cette justice, que, sous le rapport des usages, des mœurs musulmanes et des types africains, elle m’avait déjà tout appris. Dans huit jours, je serai à Alger la française, c’est peut-être alors que la fière Constantine reprendra son prestige dans mon imagination, mais la jolie Biskra qui sait allier le charme à la grandeur, Biskra si séparée du reste du monde et de ses mesquines passions, et qui pourtant en est si près, Biskra figurera toujours la première au milieu du trophée de souvenirs que je rapporte de mon séjour prolongé en Algérie.


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