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formes exagérées que nous venons de regarder. Voyant une ruelle étroite qui donne directement dans la forêt, nous nous y engageons avec empressement afin de quitter une compagnie curieuse, mais peu séduisante. Nous nous trouvons avec joie sous l’ombre des arbres, marchant le long d’une petite rivière bordée de hautes herbes du plus beau vert. Nous ne pouvons résister au plaisir de nous asseoir auprès de cette eau courante et d’attendre la fraîcheur du soir. Le soleil descend lentement à l’horizon, prenant, à mesure qu’il s’approche des montagnes qui doivent le cacher à notre vue, une couleur plus rouge et non moins éclatante. La fumée du repas de quelques caravanes campées sous les palmiers monte en colonne droite vers le ciel ; les dromadaires couchés en cercle sur la terre grise regardent, de leurs beaux yeux, les mouvemens de leurs conducteurs. Nous restons toujours en contemplation, suivant du regard toutes les phases de cette soirée du sud. La pourpre s’éteint peu à peu et fait place à la couleur de l’émeraude dont le ciel même se couvre en entier, à l’exception d’une bande jaune pâle sur la limite extrême de l’horizon que le soleil vient de quitter. Sur les montagnes semble se répandre tout à coup une végétation printanière, et les palmiers en groupes élégans et vigoureux se découpent sur ce fond en un vert assombri : effet étrange particulier au désert, sorte de vision du paradis, envoyé sans doute par la Providence pour reposer la vue fatiguée de l’aridité du sol et des ardeurs de la journée. Avec la disparition du soleil, le silence se fait dans la nature entière. Au milieu du recueillement qui précède la nuit, on entend au loin, sur le minaret du vieux Biskra, l’appel prolongé du muezzin ; aussitôt les Arabes assis tranquilles le long des chemins tournent leurs visages vers le levant et s’absorbent en leurs prières. Un troupeau de chèvres attardé rentre paisiblement, broutant, en passant près de nous, l’herbe qui croît le long des seguias ; quelques-unes grimpent avec agilité aux troncs des palmiers inclinés, afin de saisir rapidement les dattes qui pendent en grappes sous les longues feuilles ; le pâtre semble ne pas les voir et récite tout en marchant un verset du Koran que le taleb lui a sans doute dicté à l’école. Les tombeaux épars sous l’ombre de l’oasis n’offrent rien de lugubre à nos regards ; des colombes s’y posent et roucoulent dans la nuit. La lune montrée son croissant délicat dans le ciel transparent et paraît chasser le jour. Mais la nuit n’est jamais parée que d’un voile léger, et le chemin dans ces pays d’Orient, où tout semble inviter à jouir, reste encore visible.

La nuit de Biskra est, en cette saison, tiède et calme ; il règne comme un silence mystérieux qui nous emporte insensiblement vers de vagues régions, loin des soucis de la terre. L’esprit croit errer dans des espaces radieux. Rêves dorés des belles nuits des