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précédemment la connaissance du curé, et j’ai pu me rendre compte, une fois de plus, combien le nombre des prêtres est insuffisant en Algérie. Ce malheureux ecclésiastique, comme beaucoup d’autres dans nos colonies, se trouve absolument seul dans cette paroisse éloignée. Pour aller trouver son directeur, il est obligé de se rendre à, Batna, c’est-à-dire de prendre la diligence à ses frais et de faire 130 kilomètres pour aller et autant pour revenir, laissant forcément ses ouailles sans aucun secours religieux pendant au moins quarante-huit heures et souvent davantage, surtout en hiver, quand les rivières sont débordées et barrent le chemin[1]. La commune mixte de Biskra[2] contient environ deux cent cinquante catholiques, plus de cinq mille musulmans et quelques israélites. Peut-être l’administration de l’Algérie n’a-t-elle pas suffisamment veillé depuis l’origine à ce que les centres de colons fussent placés en groupes, à proximité les uns des autres, sur les mêmes voies de communication. De toute façon, c’était une mesure utile pour le commerce, pour les débouchés, pour l’agriculture et pour la sécurité. Aujourd’hui les chemins de fer, plus nombreux, ont remédié en partie à ces inconvéniens ; mais avant que la colonie soit sillonnée en tous sens, il y aura encore un grand nombre de pauvres villages dispersés dans une campagne presque déserte.

En sortant de chez les sœurs, nous demandons à un nègre que la maîtresse de l’hôtel nous avait donné pour guide de nous mener chez un marchand de bijoux d’argent ; il nous dit de le suivre et il nous conduit, en passant dans le quartier réservé aux Ouled-Nayls. Toutes les petites maisons blanchies à la chaux sont habitées par ces femmes ; les unes sont assises à terre devant leur porte avec des Arabes, d’autres se promènent côte à côte. Vues de dos, elles sont parfaitement étranges. Elles marchent ou plutôt semblent glisser lentement, leurs têtes formant avec le turban un ovale plat de la largeur des épaules, et de cette plate-forme pendent jusqu’aux pieds, en ligne droite et sans presque de plis, leurs haïks blancs ou noirs. Le quartier est borné dans l’endroit où nous sommes par la muraille qui enclôt le jardin d’une riche maison arabe ; elle forme tout un côté d’une rue ; vers le milieu de cette rue trois palmiers ont poussé par hasard, en face les uns des autres. Ils se penchent et forment une arcade naturelle en mêlant ensemble leurs touffes de feuilles. Au travers de ce cadre, on aperçoit dans la distance des Arabes qui se promènent et ont, dans les plis antiques de leurs longs burnous, infiniment plus de grâce que ces femmes aux

  1. J’ai appris depuis que ses plaintes avaient été entendues et qu’on avait mis à sa place deux prêtres d’un ordre monastique.
  2. Depuis quelques mois, le général Chanzy, cédant aux sollicitations des colons, a érigé Biskra en commune de plein exercice.