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retenant en même temps son turban d’une main et étendant son haïk de l’autre ; la musique s’animait, elle précipite son patinage et fait de temps à autre un saut en l’air en poussant un petit cri, puis elle reprend sa promenade. Deux ou trois d’entre elles seulement dansaient en même temps. Je les croyais fort calmes, mais je vis qu’en réalité il n’en était rien, car, l’agent de police leur touchant légèrement les bras avec sa baguette, emblème de ses fonctions, elles s’arrêtaient comme magnétisées et se jetaient, à moitié évanouies, sur de l’eau fraîche qu’un nègre leur offrait dans un bidon de soldat.

Comme intermède à cette danse peu variée, on nous a menés dans le jardin tout constellé de lanternes de couleur. L’illumination nous a permis d’apercevoir vaguement une végétation tropicale, les larges feuilles des bananiers, le fouillis des ramures délicates du bambou et les arêtes des palmiers se mêlant confusément dans la demi-obscurité. Dans un espace vide, on nous a donné un échantillon du carnaval arabe. Un nègre déguisé en lion, avec deux mèches d’étoupes allumées pour représenter les yeux, simule un combat avec un homme armé d’un sabre ; un troisième, déguisé en autruche, prend le parti du lion et frappe l’ennemi à coups de bec ; enfin le lion est victorieux. Pendant le combat, des Arabes tirent en l’air des coups de fusil chargés à poudre. Nous rentrons ensuite dans le salon reprendre nos places pour voir de nouveau danser les femmes. Une des Ouled-Nayls, assise un peu à part des autres, probablement plus riche que ses compagnes et incontestablement plus belle, d’une beauté de mosaïque byzantine, ne dansait pas ; son costume de soie amarante et or, avec un haïk blanc rejeté en arrière, lui seyait à merveille ; pour comble de luxe, elle avait aux jambes une paire de bas de coton blanc qu’elle avait bien soin de montrer en posant ses pieds sur les barreaux d’une chaise placée vis-à-vis d’elle. Un adolescent, noir comme l’ébène, vêtu d’une gandourah de cachemire jaune d’or, se tenait debout appuyé contre la porte près des danseuses, donnant sans s’en douter la dernière touche au tableau. Était-ce un jeune nègre ou une jeune négresse ? C’est ce que je n’osai demander au kaïd assis à côté de moi.

A dix heures, nous nous sommes retirés laissant la fête continuer jusqu’au jour. L’air de la nuit, en sortant du palais, m’a paru exquis, il avait quelque chose de moelleux.

L’air, ainsi qu’un lait pur, coulait délicieux ;
La transparente nuit brillait bleue et sereine.


Les sons de la musique nous accompagnaient de loin pendant le trajet que nous faisions lentement pour rentrer à l’hôtel. Comment