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gigantesques groupes de palmiers tout à coup enveloppés des ombres de la nuit, était bien fait pour laisser dais l’imagination une impression qui ne peut s’oublier.

Nous sommes revenus directement chez le kaïd qui donnait une fête pour les étrangers et les officiers supérieurs. Il était sur le pas de sa porte attendant l’arrivée de ses convives. Il nous a conduits, au travers de son salon, jusqu’à un beau jardin éclairé par des lanternes de papier accrochées aux branches ; la lumière était trop imparfaite pour nous permettre de distinguer les détails, mais la grosseur des troncs des palmiers nous parut extraordinaire. C’est, à ce qu’il paraît, une espèce particulière qui ne s’élève guère à plus de douze pieds, mais n’en devient que plus forte. Des serviteurs arabes, bien vêtus, allaient et venaient d’un air affairé. Nous sommes parvenus, en enjambant par-dessus quelques seguïas, jusqu’à une salle en treillages, sous laquelle était dressée une longue table servie à la française, couverte de vaisselle de Sèvres, de verreries de Baccarat et éclairée a giorno par des candélabres qui sortaient sans doute de chez Barbedienne. Des rideaux avaient été placés du côté du vent, qui commençait à faire pencher les flammes des bougies ; l’eau qui coulait tout auprès faisait entendre un léger murmure ; on voyait de temps en temps passer sous les rayons de lumière des gazelles apprivoisées qui regardaient d’un air étonné le va-et-vient des serviteurs. Lorsque les Arabes riches traitent les étrangers, ils leur servent en général un repas arabe ; mais pour leur usage particulier ils préfèrent de beaucoup la cuisine française, et souvent ils ont chez eux de bons cuisiniers nègres. Le repas qui nous a été donné ce soir-là était composé de tout ce que le pays peut offrir de plus délicat, des hachis de viandes de gazelle, des rôtis d’outarde et une vingtaine d’autres plats bien préparés. Au dessert, plusieurs assiettes de gâteaux ont été placées sur la table ; le meilleur, à mon avis, était une petite gaufre ronde couverte d’une légère couche de miel fondu. Ce miel est parfumé comme les fleurs dans lesquelles les abeilles viennent chercher leur butin ; l’oranger, les roses, la grande lavande et le jasmin, qui rendent célèbre le miel du mont Hymette, prêtent aussi leur suc à celui de l’Algérie.

L’hospitalité des Arabes est trop connue pour qu’il soit nécessaire de revenir sur ce sujet ; mais ce que l’on sait moins, c’est le degré de respect exigé des enfans à l’égard des parens, surtout dans les grandes familles, qui ont gardé les traditions. Les fils, même après leur mariage, ne doivent pas s’asseoir devant leur père, sans qu’il leur en ait donné la permission ; s’ils sont cheiks ou kaïds, ce privilège leur est accordé souvent afin qu’ils soient entourés