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qu’on offre aux étrangers. La tradition se perd à ce qu’il paraît, et un homme qui sait bien rôtir est connu dans toute une province, Nous roulons enfin sur un terrain uni et sablonneux, traînés par deux petits chevaux noirs à longues queues, qui commencent d’abord par se mettre debout avant de se lancer au galop dans la direction du col qu’ils doivent nous faire franchir. Nous avions encore 26 kilomètres à faire avant d’arriver à Biskra, terme de notre voyage. A quelques pas d’El-Outaya, nous passons près d’une montagne conique qui porte le nom de Djebel-Garribou et n’est en somme qu’un immense bloc de sel de 5 kilomètres de long sur 1,500 mètres de large. Nous n’y avions prêté d’abord qu’une attention distraite, la trouvant à peu près semblable aux montagnes ses voisines, lorsqu’en avançant davantage nous la voyons s’éclairer et se détacher blanche et brillante sous les rayons directs du soleil. Nous croisons sur la route un « coursier à longue oreille. » En regardant dans ses tellis gonflés, je suis surprise de voir que « sa charge était de sel. » On m’explique alors que les Arabes exploitent cette mine en détachant simplement des morceaux qu’ils transportent ensuite sur des marchés plus ou moins éloignés.

Nos voitures sont précédées par deux cavaliers du kaïd en burnous noirs. Ils galopent rapidement, se servant des angles de leurs larges étriers arabes en guise d’éperons pour exciter leurs chevaux qui ne semblent guère en avoir besoin. Quoique la route du col de Sfa soit suffisamment large, ils font reculer, dans des anfractuosités de la montagne, une caravane de chameaux afin que rien ne vienne retarder notre marche. Le soleil devient très ardent, mais l’air est encore léger. Arrivés au sommet du col, les voitures s’arrêtent, car c’est de là que la vue embrasse, pour la première fois, toute l’étendue du grand désert.

On a si souvent comparé le désert à la mer et les oasis à des îlots qu’il devient difficile de répéter la même idée, quoiqu’elle se présente tout naturellement à l’esprit lorsqu’on contemple la vaste plaine de sable parsemée de taches vertes qui offre aux yeux son immensité ; comme la mer aussi, elle prend les couleurs les plus variées, selon les différentes heures du jour. Au moment où nous arrivions, le soleil était déjà assez élevé, mais une brume transparente fondait la ligne de l’horizon avec le ciel et donnait au désert une couleur argentée plus semblable à l’eau qu’à la terre. On nous dit que son plus beau moment est au lever du soleil, lorsqu’une tenture rose semble s’étendre sur tout le paysage. A mesure que nous descendons le versant opposé du Djebel-Sfa, la teinte change et arrive progressivement à un rouge assez chaud ; les oasis deviennent plus vertes et plus distinctes ; celle de Biskra, la plus grande et la plus rapprochée de nous, se détache clairement et laisse voir