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Bien avant le jour, le mouvement commence déjà à se faire entendre dans l’auberge. Le hennissement des chevaux arabes auxquels on porte l’orge, la voiture que l’on sort de la remise, la cuisinière qui fait les préparatifs du déjeuner, toute cette petite agitation matinale nous rappelle qu’il est temps d’ouvrir la paupière fermée à peine depuis quatre heures. Les esprits excités par le plaisir du voyage, par ce qui nous attend et par ce qui vient de se dérouler à nos regards, tout en empêchant en quelque sorte le repos, empêchent en même temps de sentir la fatigue. La nuit est encore complètement noire lorsque je procède à ma toilette à la lueur d’une bougie. Bientôt les portes des chambres s’ouvrent l’une après l’autre et nous nous retrouvons tous autour de la table de la salle à manger devant des tasses de café à l’eau. On sent la privation du lait dans les voyages à travers ces campagnes arides et peu peuplées. Le café est réputé très sain en Algérie, mais il ne laisse pas que de paraître un peu sec comme unique nourriture, le matin au réveil. Si-Mohamed a, depuis longtemps, surveillé lui-même les préparatifs du départ et organisé avec soin la petite caravane. Pendant que nous déjeunons, une faible lueur vient annoncer la venue du jour. Sohere, ce mot doux comme un souffle qui passe, veut dire aube en Arabe, et c’est la compagne que l’indigène salue toujours lorsqu’il se met en route. Nous la verrons bientôt argenter le petit désert enclavé entre le Djebel-Aurès et le Djebel-Sfa. Maintenant ce n’est que son avant-courrière qui nous permet de distinguer les objets qui nous entourent sur la petite place devant la porte de l’auberge. Notre voiturin, fermé par des rideaux de cuir noir, tout attelé, nous attend ; le coursier alezan, à longue queue et à épaisse crinière, de Si-Mohamed est tenu en main par un Arabe et se promène lentement piaffant sous son harnais de filali rouge et sa haute selle couverte de peau de tigre. Quatre chevaux de moins belle apparence, mais l’œil sauvage et les jarrets nerveux, attendent les quatre serviteurs de notre ami arabe. Quelques enfans des montagnes, vêtus de leurs courtes tuniques blanches, sont venus regarder curieusement les apprêts du départ.

Nous voici en route longeant l’oasis encore endormie ; les chevaux des cavaliers, trop ardens pour débuter à l’allure de notre attelage, ont pris les devans. La rosée de l’automne est si fraiche qu’elle nous force à nous envelopper dans d’épais manteaux. Toute la nature est plongée dans un complet silence, et l’on n’entend que le bruit des sabots des chevaux qui frappent à chaque minute sur les pierres du chemin à peine tracé. La campagne est désolée ; des montagnes se découpent en jaune terne sur le ciel blanc. Par moment nous descendons dans le lit d’une rivière, presque