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tièdes, représentent tout naturellement l’Orient à l’imagination. Et ces vers du poète qui a chanté les beautés de la Grèce reviennent à la mémoire :

Les nuages ! combien ils lui sont étrangers !
À ce bleu firmament ils n’osent faire injure,
Ou s’il en vient parfois, rapides, passagers,
Peints d’or, d’azur, de pourpre, ils flottent si légers
Que leur voile est une parure.


Au versant nord, les pluies fréquentes permettent aux troupeaux de trouver toujours leur pâture. L’hiver des tapis de neiges descendent des cimes sur le penchant des montagnes. Les nuits sont froides même en été. Le voyageur s’enveloppe dans un manteau de laine et cherche un abri contre la rosée qui donne la fièvre. Il ne saurait oublier qu’il est sur une terre d’Occident. De la vient le grand charme d’El-Kantara. Il ne faudrait cependant pas borner là son voyage, et la vue du désert au passage du col de Sfa, ou bien un repos de quelques jours dans l’oasis de Biskra, laissent encore dans la mémoire des souvenirs non moins ineffaçables.

C’est avec la satisfaction toujours éprouvée quand l’attente n’a pas été trompée que nous rentrons dans la petite auberge, propre et pittoresque, qui doit nous donner asile une partie de la nuit seulement. Le programme du voyage, arrangé d’avance avec soin, nous force à être en voiture le lendemain dès trois heures du matin afin de traverser la portion la plus découverte du Djebl-Sfa avant que le soleil ne soit parvenu à son méridien. Le vieux cheik d’El-Kantara, fidèle à la tradition, vient ajouter à notre dîner un plat de couscoussou et une assiette de grenades. Nulle part on ne trouve de grenades aussi bonnes, aussi fraîches, fondantes et sucrées qu’à El-Kantara. Nous ne sommes pas tentés, après les fatigues passées et présentes, de prolonger la soirée. La nuit, je laisse ma fenêtre ouverte et mes volets entre-bâillés afin d’entendre le bruit mélancolique de la rivière débordant hors de la retenue qui la met au niveau de l’oasis qu’elle arrose et féconde. De ma chambre, située à huit ou dix pieds au-dessus du petit jardin de l’auberge, c’est à peine si la montagne me laisse apercevoir un coin du ciel étoile. Dans la journée j’avais cherché à suivre des yeux les détails de cette montagne si élevée et si rapprochée de la maison. Aucune route ne la sillonnait ; sur un rocher, baigné par l’eau du torrent, un pâtre, nonchalamment accoudé, faisait sortir de sa flûte de roseau un murmure tremblant. Des chèvres, dispersées çà et là, grimpaient de leurs pieds agiles les sentiers escarpés, animant seules de leurs bonds sauvages ces flancs rougis et solitaires.