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elle. Le cheik nous offre ensuite du café, et Si-Mohamed nous propose de continuer notre visite dans le village ; nous suivons nos guides et nous sommes aussi accompagnés par les filles du cheik, qui n’ont rien dans les allures de la gravité musulmane. Elles ont l’air heureux et gai. Nous passons dans une autre maison, encore plus singulière que la précédente. Entre chaque pilier s’élève comme un socle de la longueur d’une personne, dont la forme rappelle parfaitement celle d’un tombeau antique. Ce sont des lits. Sur l’un de ces lits, une vieille femme ridée est couchée ayant à ses côtés deux petits enfans. Sur l’autre, une femme d’un âge moyen est étendue appuyée sur son coude ; elles ne bougent point à notre approche, mais nous regardent dans une complète immobilité, avec un visage qui respire la fièvre. Le fond de la pièce ouvre, par une vaste porte, sur un des jardins de l’oasis, dans lequel nous attendait une des surprises qu’El-Kantara réserve aux voyageurs. Un joli ruisseau d’eau vive traverse cet enclos planté de palmiers, de grenadiers et de figuiers sous lesquels poussent des poivres longs aux fruits rouges, si souvent employés dans la cuisine arabe. Au milieu du ruisseau, debout sur une large pierre plate, nous voyons une jeune femme qui, aussitôt qu’elle nous aperçoit, ramasse les bords de sa gandourah bleue et les relève entre ses jambes nues à peu près dans toute leur longueur ; tenant sa robe de la main gauche, la droite posée sur sa hanche, elle exécute une sorte de danse sur du linge placé, tout frotté de savon, sur la pierre. C’est la façon dont on blanchit à El-Kantara. Sa jolie figure aux contours arrondis, son sourire et ses yeux pleins de malice, lui donnent assez l’air d’une faunesse. Sa taillé bien prise, ses épaules moulées par sa mince tunique, ses beaux bras, ses jambes surtout, dont on pouvait sans peine distinguer le dessin parfait, ses petits pieds de statue grecque battant lestement le linge et couverts de la mousse blanche du savon, tout cet ensemble, se détachant sur un fond de verdure et imprégné de la fraîcheur de l’eau, composait un tableau charmant digne du pinceau de Gérôme. Nous étions absorbés par la contemplation de cette scène, presque mythologique, lorsqu’on nous rappelle qu’il ne faut point nous attarder, et que nous avons encore d’autres curiosités à voir avant l’heure de notre dîner.

On nous conduit de là, directement, par les rues désertes du village, à une maison de modeste apparence à la porte de laquelle on nous fait signe de nous arrêter ; c’est dans la pièce d’entrée que nous pouvons Voir tisser un haik ou grande pièce d’étoffe légère dans laquelle se drapent les Arabes riches et les femmes de bonne famille, lorsqu’elles sortent de leurs maisons. Dans cet étroit espace, un vieillard est assis sur un banc de pierre, et à côté de lui,