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toute la chaleur du milieu du jour. Nous trouvons enfin une route en corniche, à laquelle travaillent des ouvriers arabes. Leurs figures ont une expression de mâle honnêteté et ils font tous le salut militaire au commandant, qui est en uniforme. Nous quittons en effet le territoire civil et nous entrons sur le territoire militaire. La route est unie et domine le torrent dans lequel nous apercevons enfin de l’eau. Des compagnies de perdrix rouges, la seule espèce en Algérie, se promènent sans effroi auprès de la voiture. Nous sommes dans la portion la plus grandiose des Aurès, dont le pic le plus élevé a 2,300 mètres au-dessus du niveau de la mer. Il est près de quatre heures, et le soleil, passant derrière les cimes, nous laisse jouir d’une ombre bien venue. On nous dît que nous approchons du village d’El-Kantara. Nous voyons en effet sur la route le cheik de l’endroit. Après les salutations et les paroles de politesse, auxquelles un Arabe ne manque jamais, nous avançons jusqu’à l’auberge. Nous y trouvons, sous la tonnelle de vigne, notre ami Si-Mohamed. Ses serviteurs sont en train d’arroser avec de l’eau fraîche les pieds d’un superbe cheval alezan qui vient de faire soixante lieues, à peu près d’une seule traite, pour amener son maître à notre rencontre ; Si-Mohamed a voulu être le premier à nous recevoir et à nous guider sur le territoire de Biskra.

El-Kantara, que les Arabes prononcent El-Kentera, veut dire pont. Le nom vient d’un ancien pont romain, dont on découvre encore à présent quelques vestiges. Il a été remplacé depuis peu d’années par un pont qui ne conduit à aucun chemin praticable. El-Kantara est la première oasis sur le chemin du grand désert, et peut-être le site le plus beau de l’Algérie. Mais comment rendre avec la plume l’impression que produit un admirable paysage ? Comment, avec des mots, donner l’idée de cette splendeur naturelle à ceux qui ne l’ont jamais vue ?

Après nous être reposés quelques instans dans la jolie petite auberge, placée isolément entre la route et la rivière, au pied de la montagne, nous procédons, sous la conduite de Si-Mohamed, à la visite de l’oasis et du village. La chaîne des Aurès est en cet endroit comme une immense muraille dans laquelle on ne voit qu’une brèche qui semble faite exprès pour laisser passage à la rivière. Des deux côtés de cette coupure s’élèvent deux montagnes de pierres, dont la hauteur paraît d’autant plus étonnante que les parois sont plus droites. Avant de passer par cette porte naturelle, il faut s’arrêter un moment pour jouir du spectacle qui s’offre devant les yeux. Sur un ciel du bleu le plus pur et le plus franc se découpe un bois de palmiers dont le soleil colore la masse verte, qui a pour cadre deux majestueux rochers rouges. Au centre, sortant du milieu des