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fenêtres. Nous prenons possession du coupé, qu’un long usage sans doute a rendu fort dur. Six petits chevaux maigres nous emportent rapidement pendant 119 kilomètres sur une route bien entretenue. Ils doivent parcourir cet espace en quatorze heures. Le pays, entrevu pendant la nuit, nous semble peu intéressant. On relaie ordinairement auprès de grandes fermes isolées au milieu de prairies légèrement accidentées et sans arbres. La faible lueur qui précède l’aurore nous laisse apercevoir des chotts, ou grands lacs salés, entourés de plantes aquatiques, et, pour ajouter à la tristesse de ce paysage, nous entendons dans le lointain les aboiemens des chacals. Au petit jour, la campagne se montre à nos yeux verdoyante et bornée, à notre droite et à notre gauche, par d’assez hautes montagnes. Plus on approche de Batna, plus les habitations des colons deviennent nombreuses. Des vergers entourés de haies et arrosés de ruisseaux d’eaux vives pourraient presque laisser croire qu’on est en Normandie.

Batna est une assez grande ville française, aux rues larges et droites bordées de maisons à deux étages. Elle ne date que de 1844. Il y règne un vent presque continuel qui soulève dans les avenues, percées régulièrement, une poussière fine et aveuglante. A trois lieues plus loin, les ruines de Lambessa attestent l’esprit pratique des Romains, qui savaient choisir pour leurs établissemens des sites abrités contre les courans fiévreux par des montagnes boisées et arrosés par de belles sources.

Après un repas médiocre, fait en arrivant au meilleur hôtel de Batna, nous montons dans une sorte de char à bancs qui nous transporte aux ruines de Lambessa et à sa colonie pénitentiaire. Si le temps ne nous avait pas fait défaut, nous aurions aimé à visiter un lieu des environs appelé le Ravin bleu, célèbre par les beaux cèdres qui en couronnent le sommet. Le pays est en partie boisé. La forêt de Lambessa, assez éloignée de la ville, s’étend sur une surface de 27,000 hectares, et celle de Bou-Arif, au nord-est, comprend une étendue de 10,000 hectares. Mais Batna n’est pour nous qu’une étape, et nous nous bornons à employer les quelques heures qui nous restent avant la nuit à visiter les vestiges laissés par les Romains.

La ville de Lambessa, à en juger par la distance qui sépare les monumens les uns des autres, couvrait un espace considérable. Là c’est un arc de triomphe, ailleurs une colonne élevée, plus loin un temple que les savans disent dédié à la Victoire. Ce temple, entouré d’une grille, sert d’abri pour les morceaux de sculpture trouvés dans les fouilles. Nous y voyons des statues mutilées, des fûts de colonnes, des bustes découverts récemment, mais ces fragmens de l’art romain ne passent pas pour être de la belle époque.