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LA
MORALITE DANS L'ART

Voilà plus de deux mille ans qu’on se demande si l’art doit être moral, et de quelle façon il doit et peut l’être. On discutait déjà sur ce point autour de Périclès et d’Aspasie. Socrate en plus d’une rencontre se plaisait à tourmenter là-dessus les sophistes. Aujourd’hui encore, quand dans un salon l’entretien tombe sur ce sujet à propos d’un roman ou d’un drame nouveau, on entend exprimer des opinions dont la diversité est parfois réjouissante. Chacun décide selon ses goûts, les habitudes de sa vie, même selon le sexe et l’âge. En général, ceux qui vont souvent au théâtre ne trouvent rien immoral, ceux qui y vont rarement se montrent plus difficiles, étant moins aguerris. Les jeunes gens jugent moral tout ce qui les amuse ; les vieillards condamnent ce qui choque l’idéal de leur jeunesse. Quant aux femmes, elles ont une manière qui leur appartient de résoudre le problème : les plus jeunes sont d’avis qu’une œuvre est bonne quand elle est en vogue auprès du beau monde ; celles qui sont d’un âge incertain sont moins accommodantes et plus sensibles sur la morale ; les plus respectables par les années lisent, en toute sécurité de conscience, des livres d’une moralité fort douteuse, s’ils renferment çà et là de bonnes maximes. Quelquefois on juge selon sa profession ; un magistrat réprouvera une œuvre, si elle offense ou effleure une loi ; un professeur, si elle est contraire à certaines règles dégoût ; un philosophe remontera à ce qu’il appelle la source du beau ; et si dans la compagnie se trouve un artiste, il affectera peut-être d’ouvrir des yeux étonnés, il ne sait ce qu’on peut vouloir dire et conclura lestement que l’art n’a rien à démêler avec la morale. Tous ces propos finissent bientôt par un prudent