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laisse à penser si le cœur et l’existence des petites Parisiennes avaient pour elle des secrets. C’est un ancien couvent de carmélites, dont la chapelle est encore intacte avec son ancien luxe, qui donne aujourd’hui asile à ces enfans de la rue. Peut-être même la vétusté des bâtimens, qui auraient un singulier besoin d’être blanchis, et l’exiguïté de certaines dispositions intérieures ne rendraient-elles pas cette installation très satisfaisante au point de vue hygiénique, si un vaste jardin en plein midi, qui s’étend jusqu’à la rue de Rennes, ne laissait arriver dans les principales pièces de la maison l’air et le soleil. La maison peut contenir cent vingt pensionnaires. À ma dernière visite, il y avait encore une vingtaine de lits vacans que j’aurais bien voulu voir remplis par les jeunes filles que j’avais laissées à Saint-Lazare. Dans ce grand nombre d’enfans, une seule division est opérée, dont le principe est assez délicat. Quoique ces jeunes filles aient toutes moins de seize ans, il en est un certain nombre qui, dans les hasards de leur vie vagabonde, ont subi quelque flétrissure irréparable. Pour le constater, on ne s’en rapporte pas uniquement aux renseignemens qui accompagnent leur entrée dans la maison, ou à leur propre aveu, et une fois cette certitude obtenue, on les tient soigneusement séparées des autres enfans à l’atelier, au réfectoire, au jardin. Je connaissais à l’avance le principe de cette division introduite par Mme Lechevallier, et j’avais, je l’avoue, l’esprit un peu prévenu contre elle, me demandant si, le jour où les enfans avaient franchi le seuil de la maison, tous les souvenirs de leur douloureux passé ne devaient pas être également effacés. Je suis un peu revenu sur cette impression en étudiant de près la physionomie des enfans des deux quartiers. Dans l’un de ces quartiers, l’aspect n’est pas, sauf la présence de certaines physionomies sournoises et obstinées, très différent de celui d’un pensionnat populaire. Les visages sont gais, un mot les fait rire ; il semble qu’elles n’aient rien derrière elles qui soit honteux ou secret. Il n’en est pas de même dans l’autre quartier où l’on ne peut voir sans une tristesse mélangée d’indignation des enfans qui ont à peine douze ans. L’expression du visage est moins ouverte, beaucoup ont dans la figure quelque chose de triste et d’irréparablement flétri, et cette comparaison m’a fait mieux comprendre que Mme Lechevallier, dont l’expérience avait fait établir cette division (ignorée au reste des enfans quant à son principe) redoutât des unes aux autres les communications et les confidences. Cette séparation est surtout rigoureusement observée au jardin ; mais, pour la maintenir, point n’est besoin de faire alterner les heures de récréation. Les deux divisions sont lâchées en pleine liberté à droite et à gauche d’une double rangée de bancs, et la promenade constante d’une sœur le