Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la grossièreté de leur milieu rend plus excusables chez des filles du peuple. À ces jeunes filles, pour qui les parens paient un prix de pension plus ou moins élevé, un régime alimentaire plus délicat est assuré et on les emploie (car le travail est toujours le grand remède) à des travaux de guipure et de broderie. Dans ce pavillon spécial, quelques chambrettes propres et gaies, dont les fenêtres s’ouvrent sur le vaste jardin du couvent, sont préparées pour servir inopinément de refuge à quelqu’une de ces catastrophes morales qui viennent bouleverser les existences les plus brillantes, et dans l’une de ces chambrettes une prévoyance intelligente a placé à tout hasard un piano. C’est ainsi qu’en prévision des formes et des séductions multiples du vice la charité chrétienne a multiplié aussi ses consolations et ses remèdes. Aussi lorsqu’on visite cette maison singulière, dont l’aspect extérieur n’a pas sensiblement changé depuis qu’elle a reçu au XVIIe siècle la visite de sainte Chantal, lorsqu’on voit dans le vaste jardin les sœurs se promener solitaires avec un livre à la main, et rabattre à votre passage leur épais voile noir, on se demande si l’on est bien en pleine Babylone, en plein temps de la guerre au cléricalisme, et ce qu’il adviendrait de cette population paisible le jour où l’ennemi triomphant chasserait de leur asile les soixante-dix sœurs dont quelques-unes n’ont peut-être pas mis le pied dans la rue depuis quarante ans.

Les jeunes filles qui sont condamnées ou envoyées en correction pour plus de six mois sont réparties entre les différentes maisons d’éducation affectées aux filles. Le régime de ces maisons est assez uniforme, car elles sont toutes, sauf la maison de Villepreux, dirigées par des congrégations religieuses, et je ne crois pas beaucoup au succès des tentatives qu’on ferait pour les placer sous une autre direction. Ce n’est pas qu’on ne puisse trouver individuellement chez quelques directrices laïques des garanties d’intelligence et de moralité, mais dans un pays comme le nôtre, où les ordres religieux ont pris un grand développement, le nombre des femmes assez libres de leur temps pour se consacrer complètement à l’éducation des enfans vicieux, assez charitables pour le faire dans un esprit de dévoûment, et qui auront tenu cependant à conserver l’indépendance de la vie séculière, sera toujours infiniment petit. D’ailleurs les essais qui ont été faits jusqu’à présent pour placer les établissemens d’éducation correctionnelle sous la direction de laïques n’ont pas donné d’heureux résultats. Sur trois établissemens ainsi dirigés dans ces derniers temps, deux ont dû être fermés, l’un parce que la directrice avait été compromise dans une affaire fâcheuse, l’autre parce qu’il avait été impossible de maintenir l’harmonie et le bon accord dans le personnel dirigeant,