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D’ailleurs les Allemands, au XIVe siècle, n’ont pas cause complètement gagnée entre l’Elbe et la Vistule. Les Lusaces, la Silésie, le Brandebourg, ces antiques domaines de la race slave, sont à jamais perdus pour elle ; mais la Pologne et la Poméranie vivent toujours ; et le Danemark n’a pas renoncé à disputer aux Allemands la mer Baltique. Il a fallu que les teutoniques, placés à l’avant-garde de la colonisation germanique, se retournassent pour protéger le corps de bataille ; ils ont employé leurs principales forces non contre les païens, mais contre les ennemis chrétiens de la race allemande : ils les ont tous vaincus, et leurs grands succès ont été remportés sur la Pologne.

On se souvient que le duc slave Swantopolk de Poméranie avait soutenu les Prussiens au temps des révoltes du XIIIe siècle et mis l’ordre en péril. A la mort de son successeur Mestwin, les rois de Pologne occupèrent la province, qui leur fut disputée par les margraves de Brandebourg et par l’ordre coalisés. L’ordre fut si bien victorieux qu’après avoir conquis la Pomérellie, il menaça la Pologne elle-même. Casimir le Grand s’empressa de traiter à Kalich, en 1343, et de renoncer à la province dans une solennelle entrevue où le roi et le grand maître jurèrent d’observer la paix, le premier sur sa couronne et le second sur sa croix. Cette réconciliation dura, comme les paix perpétuelles qui furent plusieurs fois conclues, très peu de temps. C’est que, dans cette guerre entre Allemands et Slaves, le combat dont l’enjeu était la Pomérellie avait l’importance de ces batailles décisives qu’un belligérant livre à son adversaire pour le couper de sa base d’opération et l’investir. C’est la Pomérellie qui faisait communiquer le pays prussien avec la nouvelle marche et avec l’Allemagne ; c’est la Pomérellie que la Pologne, quand elle sera victorieuse, commencera par ressaisir, et la première province que Frédéric le Grand revendiquera lors du partage de la Pologne sera encore la Pomérellie. Ce combat n’a donc fini qu’avec l’un des combattans, et l’on a compris, il y a cinq cents ans, que la colonie allemande de Prusse et la plus puissante des nations slaves étaient d’irréconciliables ennemis dont l’un devait tuer l’autre : la preuve c’est qu’on a discuté le partage de la Pologne.

C’était à la fin du XIVe siècle, au moment où régnaient en Hongrie et en Bohême deux princes allemands de la maison de Luxembourg, Sigismond et Wenceslas. Un duc silésien, ami de cette maison, alla trouver le grand maître à Thorn et lui tint ce langage : « Mon maître le roi de Hongrie, le margrave de Moravie, le duc de Görlitz, le duc d’Autriche et moi sommes tombés d’accord, après en avoir délibéré, pour attaquer le roi de Pologne. Le roi de Bohême nous aidera. Ces seigneurs pensent que vous pouvez