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guerre sur la Baltique, des flottilles sur les fleuves et les rivières ; son armée se composait des paysans qui faisaient le service du train et des équipages, ou servaient comme fantassins sur les bateaux et les chariots de guerre, d’une cavalerie légère, fournie par les Prussiens libres, et d’une lourde cavalerie où les chevaliers, leurs feudataires et leurs mercenaires étaient groupés par lance. Son artillerie fut de bonne heure formidable. Il était le premier à se servir des inventions qui modifiaient l’armement. L’arc emprunté en terre-sainte aux Sarrasins avait autant contribué à ses premières victoires sur les Prussiens que les mousquets à celles de Cortez sur les Mexicains. Point d’arsenaux mieux munis que les siens de ces vieux engins transmis par l’antiquité au moyen âge, béliers, balistes et tours roulantes ; mais à peine la première mention de l’usage du canon a-t-elle été faite en Europe, — c’était en 1324, — et nous apprenons que quatre ans après un boulet teutonique a tué un chef lithuanien. L’ordre avait une artillerie de campagne, une artillerie de marine, une artillerie de siège, et il mettait son orgueil à fabriquer des canons monstrueux ; on fondit à Marienbourg en 1408 une pièce qui pesait 200 quintaux et coûta 135,000 fr. « Vainement, dit avec orgueil un contemporain, on aurait cherché sa pareille en Allemagne, en Pologne et en Hongrie. » Quand il s’agit de fabriquer des boulets pour ce monstre, on ne trouva point dans les environs de pierres assez grosses et il fallut que les ouvriers allassent en tailler dans la masse des blocs erratiques qui couvrent le sol à Labiau. Le gros canon fut essayé l’année d’après contre les Polonais, et les murailles de Bobrowniki sur la Vistule furent broyées en quatre jours. La tactique, à chaque instant corrigée par l’expérience, vaut l’armement. En l’absence du grand maître, le grand maréchal commande, et tous, non-seulement les mercenaires qui s’y obligent par serment, mais aussi les croisés, lui doivent obéir. L’ordre dans lequel marchent les bannières est déterminé d’avance. L’armée a son avant et son arrière-garde. Défense est faite de s’éloigner du rang sans permission et de déposer son bouclier ou ses armes. Devant l’ennemi, la plus grande prudence est requise, et les teutoniques n’engagent point de combats sans avoir reconnu les forces de leurs adversaires (pensare epercitum). Il est difficile d’évaluer le nombre d’hommes dont se composaient les armées de l’ordre ; mais nul état voisin livré à ses propres ressources n’était capable de lui opposer des forces supérieures. Il pouvait dans les grandes circonstances grossir son contingent de mercenaires ; il y employa en 1411 10 millions de francs.

Quel usage les chevaliers ont-ils fait de cette puissance ? Pour mesurer la place qui leur appartient dans l’histoire générale, il faut