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la cendre ; on y chassait, outre le gibier qui s’y trouve encore aujourd’hui, l’aurochs, l’ours, le loup, le castor, le cheval sauvage, l’écureuil et la martre. Le gibier était assez abondant pour être employé à l’approvisionnement des armées. Dans les forêts enfin, on allait recueillir le miel des abeilles sauvages. C’était l’industrie de nombreux villages situés à l’entrée du désert, comme on appelait cette vaste étendue de terrain boisé, située entre la Prusse et la Lithuanie, région redoutable où le chasseur, le pêcheur et le chercheur d’abeilles sauvages étaient guettés par des brigands. Le grand maître y venait souvent avec nombreuse escorte, et il conviait les princes voisins à de grandes chasses qui duraient des semaines.

L’industrie n’était pas en Prusse le privilège des villes, L’ordre ayant besoin d’artisans autour de ses châteaux. Les moulins, très nombreux, ne servaient point uniquement à moudre le grain : la force motrice y était employée à toute sorte d’usages. Les chevaliers en possédaient 390, où ils n’épargnaient pas la dépense : telle de ces solides constructions coûtait de 20,000 à 30,000 thalers, et l’on peut évaluer la mouture qui s’y faisait à 2,400,000 boisseaux, qui suffisent à la nourriture de plus de 560,000 individus. La liste des métiers est telle qu’on la trouverait dans tous les pays : boulangers, bouchers, cordonniers, brasseurs en quantité prodigieuse, — il y en avait 376 dans la seule ville de Danzig ; — barbiers et chirurgiens, médecins, dont les visites se payaient cher et parmi lesquels il y avait des spécialistes pour les maladies d’yeux et pour la pierre ; apothicaires-confiseurs, fabriquant des douceurs que les chevaliers emportaient dans leurs expéditions ; constructeurs de navires, — on a des exemples de vente de bateaux à des Anglais et des Flamands ; — bateliers de mer et de rivière. L’ordre avait pour sa besogne administrative des écrivains et des arpenteurs ; pour ses fêtes, des chanteurs, des mimes, des fous, des montreurs d’ours, tout l’attirail des cours du moyen âge ; pour ses églises et ses châteaux, des constructeurs d’orgues, des sculpteurs, des peintres, qui étaient quelquefois richement payés, comme ce peintre de Marienbourg à qui Ton compta pour un tableau 2,880 thalers.

Le commerce prussien était florissant au XIVe siècle. L’ordre n’avait pas eu de peine à faire passer par la Prusse les marchandises de la Pologne et de la Russie méridionale destinées au commerce de la Baltique. Les villes de Pologne et de Russie étaient encore dans l’enfance, et déjà de nombreuses familles allemandes y étaient établies : il y en avait douze cents à Lemberg. Colons allemands de Prusse et colons allemands de Pologne s’entendirent. L’ordre avait trouvé d’ailleurs le meilleur instrument de propagande